BangladeshAvant les élections, de faux experts désinforment à tout-va
Une enquête de l’AFP a permis d’analyser plus de 700 articles de 35 auteurs différents. Les universités auxquelles ceux-ci disent être affiliés n’ont jamais entendu parler d’eux.
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Les propos tenus dans les articles analysés favorisent principalement les positions du gouvernement en place.
AFPA quelques mois des élections au Bangladesh, des centaines d’articles signés par de pseudo experts présentés comme indépendants ont fleuri dans les médias locaux et internationaux pour louer la politique du gouvernement et les liens avec la Chine. Mais ces experts ont des titres douteux, des photos falsifiées et certains d’entre eux sont même tout simplement des personnes fictives, révèle une enquête de l’AFP.
Ces articles d’opinion ont été publiés par l’agence d’Etat chinoise Xinhua, de grands médias en Asie, et ont été cités dans le «South Asia Brief» du magazine Foreign Policy, basé à Washington. «Il s’agit d’une opération d’influence coordonnée», a estimé A Al Mamun, professeur de journalisme à l’Université de Rajshani au Bangladesh, selon qui «ces articles soutiennent principalement des narratifs qui sont favorables au gouvernement en place».
Contre la «propagande» négative
Des élections nationales sont prévues au Bangladesh, d’ici la fin janvier, mais les efforts déployés par le gouvernement du Premier ministre Sheikh Hasina pour faire taire les critiques et éradiquer la dissidence inquiètent, notamment aux Etats-Unis. Une vague d’articles est apparue sur Internet vers septembre 2022, quand le ministère des Affaires étrangères du Bangladesh a lancé un appel aux «bons chroniqueurs» pour contrer la «propagande» négative.
L’AFP a sollicité à de multiples reprises des commentaires auprès des ministères des Affaires étrangères et de l’Information, mais n’a pas obtenu de réponse. Le ministre des Affaires étrangères, A.K. Abdul Momen, a déclaré à l’AFP «ne pas avoir suffisamment de temps» pour apporter un commentaire.
Des «experts» introuvables
L’AFP a analysé plus de 700 articles publiés sur au moins 60 sites de médias bangladais et internationaux, signés de 35 auteurs différents, tous apparus pour la première fois en ligne l’année dernière. Ces articles soutiennent massivement les narratifs promus par le pouvoir en place, certains étant publiés sur des sites gouvernementaux. Beaucoup sont résolument pro-Pékin et fortement critiques envers Washington, qui a averti Dacca, sur la nécessité d’élections libres et équitables.
S’il a été impossible de vérifier l’existence réelle de ces 35 auteurs, les journalistes de l’AFP n’ont pu trouver aucune autre trace de leur présence en ligne, en dehors de ces articles. Aucun d’entre eux n’avait de profil visible sur les réseaux sociaux et aucun n’avait publié d’articles de recherche dans des revues académiques. Sur les 35 auteurs, 17 au moins revendiquaient des liens avec de grandes universités asiatiques ou occidentales, mais l’équipe d’investigation numérique de l’AFP n’a trouvé aucune trace de leurs travaux. Interrogées par l’AFP, huit grandes universités, parmi lesquelles les universités du Delaware (Etats-Unis), de Toronto (Canada), de Lucerne ou de Singapour, ont confirmé n’avoir jamais entendu parler de neuf des auteurs censés leur être affiliés. «Nous avons vérifié les registres de l’Université et n’avons pas pu trouver ce nom dans nos listes», a ainsi indiqué à l’AFP, l’Université Jawaharlal Nehru en Inde, à propos d’un des auteurs présenté comme ayant des liens avec elle.
En outre, les photos de huit des chroniqueurs étaient en fait celles d’autres personnes, dont celle d’un influenceur de mode populaire sur les réseaux sociaux indiens. L’AFP a également trouvé des exemples où un même article a été publié sous des noms différents en anglais et en bengali. Parmi les auteurs figure ainsi Doreen Chowdhury. Cette chroniqueuse prolifique a publié au moins 60 articles pour promouvoir la politique du gouvernement, prôner le renforcement des liens avec la Chine ou mettre en garde contre «la menace pour les droits humains» que représente la violence par armes à feu aux Etats-Unis. Mais la photo de Doreen Chowdhury est en fait celle d’une actrice indienne, et l’Université de Groningen (Pays-Bas), où celle-ci est censée être chercheuse doctorante en sciences politiques, affirme ne pas la connaître. Les journalistes de l’AFP ont tenté de contacter Mme Chowdhury via le courriel figurant sous ses articles. Ils ont reçu une réponse indiquant que Doreen Chowdhury était un «pseudonyme pour éviter les problèmes de sécurité», mais l’auteur du courriel a refusé de fournir une véritable identité ou d’expliquer l’utilisation d’une fausse photographie.