Neuchâtel: «J’ai tué ma femme, mais elle n’est pas encore morte»

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Neuchâtel«J’ai tué ma femme, mais elle n’est pas encore morte»

Le ressortissant érythréen qui a poignardé son épouse à Peseux, voici presque deux ans, affirme avoir agi sous l’emprise d’un marabout.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé
Le crime a été commis le 22 avril 2021 à la rue du Chasselas, à Peseux.

Le crime a été commis le 22 avril 2021 à la rue du Chasselas, à Peseux.

Lecteur reporter

Un vendredi, au lendemain d’un crime commis le 22 avril 2021, un hommage silencieux a été rendu avec des roses à la mémoire d’une femme tuée la veille par son mari érythréen dans un appartement de Peseux (NE). Des fleurs portées à Neuchâtel devant la fontaine de la Justice, mais aussi des pancartes dénonçant un féminicide de plus. Presque deux ans plus tard, c’est à l’Hôtel-de-Ville que le meurtrier comparaît devant ses trois juges, à Neuchâtel.

Lors d’une dispute conjugale survenue un matin, en l’absence des trois enfants en âge de scolarité, le mari de 43 ans a saisi un couteau de cuisine dentelé pour poignarder à 23 reprises son épouse de 34 ans, au visage, au thorax et dans le dos. Arrivé en Suisse un mois plus tôt, il a appelé lui-même la police vers 8 h 50: «J’ai tué ma femme, mais elle n’est pas encore morte», a-t-il déclaré, propos rapportés par le procureur Nicolas Feuz.

Dans le calme

«Je pleurais, je n’étais pas moi-même», a déclaré le mari. Son arrestation s’est déroulée dans le calme et le prévenu a avoué son méfait. Le procureur Nicolas Feuz a rapidement constaté que ce féminicide n’avait rien à voir avec une origine étrangère: «Un féminicide n’est pas affaire de culture ou de religion», a-t-il dit. Si le meurtrier avait été Suisse, ça n’aurait «strictement rien changé».

Ce matin, le meurtrier s’est présenté avec dix minutes de retard devant le Tribunal criminel, dans un veston noir sur une chemise bleu ciel. «Allez-y, Monsieur», lui a dit un policier après avoir enlevé ses menottes. Fine moustache sous un crâne lisse, le meurtrier assisté d’un traducteur s’est avancé, inexpressif.

Le Tribunal criminel siège aujourd’hui à l’Hôtel-de-Ville de Neuchâtel, dans la salle du Conseil général.

Le Tribunal criminel siège aujourd’hui à l’Hôtel-de-Ville de Neuchâtel, dans la salle du Conseil général.

lematin.ch/Vincent Donzé

Les trois enfants mineurs avec qui l’accusé maintient un contact depuis sa prison sont dispensés de témoigner. Ils réclament chacun 35 000 francs de tort moral, des prétentions admises par leur père. «C’est un horrible accident que je ne peux pas expliquer», a-t-il déclaré.

Venait-il d’apprendre que Madame l’avait trompé? L’a-t-il tuée parce qu’elle était infidèle, comme il l’a déclaré à un psychiatre? Selon le procureur Nicolas Feuz, le mari ne savait rien des deux avortements et de la fausse couche subis par son épouse, qui ne voulait plus de lui. Il avait des soupçons d’adultère, mais pas de preuve.

Devant ses juges, le meurtrier a fourni ce matin une nouvelle version ainsi résumée par le traducteur: «Un marabout m’a jeté un sort». Pour le procureur, cette «déresponsabilisation» est caractéristique d’un féminicide. Après le crime, son auteur est allé jusqu’à rédiger une lettre qu’il a attribuée à son épouse, lui faisant dire qu’elle était sur le point de s’ôter la vie: «Pourquoi tu m’as tuée? J’allais me suicider».

Une malédiction

La femme qu’il a aimée, il n’avait pas l’intention de la tuer, affirme-t-il, même s’il s’est senti trahi, humilié quand il l’entendait rire au téléphone avec un autre homme. Le mari relate une discussion qui se serait déroulée après le premier coup de couteau, le 22 avril 2021. Un déroulement jugé «extrêmement bizarre» par le procureur.

C’est l’épouse frappée qui aurait évoqué un marabout, pendant qu’il la poignardait. Mais le mal était fait: «J’ai continué à donner des coups, je n’étais pas moi-même», a-t-il dit en attribuant son entêtement à une malédiction.

Regroupement familial

Arrivée en Suisse deux ans avant son mari militaire, l’épouse émancipée avait sollicité un regroupement familial, pour le bien des enfants du couple. Le père s’est installé dans son appartement, deux semaines avant le crime. Le couple faisait chambre à part: elle voulait une séparation.

Selon le procureur Nicolas Feuz, le père s’est fait l’auteur de violences domestiques répétées en Érythrée, puis au Soudan et au Soudan du Sud, où le couple s’est réfugié après la naissance de son premier enfant. «Il vient d’un pays où les violences conjugales sont impunies», a précisé son avocate. À sa sortie de prison, le meurtrier risque un renvoi en Érythrée, où il est un déserteur après avoir servi pendant douze ans et quatre conflits.

Opérateur radio

«C’était fatigant, j’en avais marre», a-t-il expliqué en évoquant la naissance de son premier enfant. «Opérateur radio, je connaissais des codes secrets. J’ignore ce qu’on me fera», a déclaré cet ancien gradé qui craint la sanction d’un autre tribunal, militaire celui-là.

«J’accepte les conséquences de mes actes», a assuré le prévenu, dans l’attente du verdict. Le Ministère public a requis une peine de 15 ans de prison qui le ferait sortir de prison après la majorité de sa fille cadette: il n’aura plus d’emprise sur ses enfants. «L’expulsion pour un meurtre est obligatoire», a ajouté Nicolas Feuz, en fixant sa durée également à 15 ans.

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