Commentaire«Gran Turismo 7»: le scandale que les fans ne digèrent toujours pas
Le célèbre jeu de course automobile a vu sa cote dégringoler radicalement depuis l’introduction d’un système qui conduit grossièrement les usagers vers les microtransactions
- par
- Jean-Charles Canet
Au début du mois de mars dernier sortait en exclusivité sur PlayStation 4 et PS5 «Gran Turismo 7», le jeu de course automobile phare de Polyphony Digital, studio propriété de Sony Interactive Entertainment (SIE). Le simulateur avait reçu un accueil critique généralement très favorable et lematin.ch s’était joint en toute bonne foi au concert d’applaudissements. À nos yeux, GT7 symbolisait (et symbolise toujours) un retour en forme de la franchise autant sur le point de ses exploits techniques que sur le plan de son ambition.
Dans la période allouée aux évaluations, le magasin interne (qui permet notamment d’acquérir des véhicules avec de l’argent sonnant et trébuchant) n’avait pas encore été activé et, même après, les crédits accordés çà et là permettaient, toujours à nos yeux d’acquérir de nouveaux bolides par la conduite, les classements et l’accomplissement de divers défis de manière satisfaisante. Les vaches étaient en apparence bien gardées, aux impatients la possibilité de payer pour obtenir plus vite ce qu’ils convoitent, aux patients la possibilité de gagner à la loyale les crédits nécessaires pour progresser.
Mise à jour obligatoire
Il a fallu une mise à jour (obligatoire) pour que l’équilibre s’en trouve bouleversé. Le patch a d’abord provoqué une panne des serveurs qui ont empêché les joueurs d’accéder à un jeu qui doit rester en ligne pour fonctionner correctement. Elle a duré plusieurs jours. Une fois le problème résolu, les usagers déjà chauffés à blanc ont découvert que le système économique (virtuel et réel) avait été singulièrement modifié. Gagner une course, ou être bien classé, était désormais moins bien rémunéré en crédits. Les heures de pratique – pour parvenir à réunir les points nécessaires pour améliorer au garage les véhicules ou pour acquérir de nouveaux modèles – s’en sont trouvées multipliées alors qu’au magasin, certains véhicules atteignaient des sommes indécentes les rendant quasi inaccessibles sans passer par l’achat de crédits devenu si difficile à gagner en jouant.
Le contrecoup ne s’est pas fait attendre: réseaux sociaux en flamme, vidéos YouTube incendiaires et avalanche de notes désastreuses (assorties de commentaires fleuris) sur Metacritic, un site de référence qui agrège les évaluations des produits culturels, dont les jeux vidéo. Résultat: si les évaluations professionnelles compilées avant la mise à jour restent à ce jour élevées (87 sur 100 ce mercredi), la note des «utilisateurs» a dégringolé. Elle se trouvait encore à 1,8/10 le 6 avril.
En mode «Damage control»
La suite? Un scénario désormais tristement connu: un éditeur et un studio qui se met en mode «damage control», avec des explications et justifications embarrassées, quelques excuses, un petit dédommagement (1 million de crédits offerts aux lésés… de la panne des serveurs) et la promesse d’un rééquilibrage présent et futur. Le rétropédalage annoncé le 25 mars dernier en a peut-être calmé certains, le baromètre des usagers n’en reste pas moins dans les abysses et il faudra sans doute longtemps avant de le voir refléter une meilleure météo.
L’arrivée des microtransactions dans l’industrie du jeu vidéo n’est pas nouvelle. Les jeux dits «free to play» que se trouvent généralement sur les appareils mobiles ont le plus souvent un modèle économique basé sur elles. On y entre gratuitement, la publicité et/ou les micropaiements génèrent des revenus. Dans ce cas-là, il n’est pas rare qu’un jeu bride sa progression ou sa complétion à des achats intégrés. C’est en gros le «pay to win» dans sa version la plus violente. Le problème est que le phénomène s’implante de plus en plus sur les jeux qui furent un temps basés uniquement sur un modèle d’achat tout en un, comme c’est le cas pour les gros jeux triple A, catégorie qui englobe «Gran Turismo 7».
Des petits murs pervers
La grande faute de Polyphony Digital et de SIE est moins d’avoir ouvert un magasin pour appâter les collectionneurs compulsifs (rien de déshonorant à cela, bien que cela a un coût) que d’avoir placé, une fois la fenêtre des évaluations critiques refermée, toute une série de petits murs pervers: diminuer les récompenses/crédits lors de l’accomplissement des épreuves, ne pas permettre la revente de voitures acquises, avoir placé à la vente seulement des véhicules exclusifs, avoir limité dans le temps la disponibilité en magasin de modèles spéciaux. Autant de choses qui poussent vers les microtransactions. En bref, d’avoir institutionnalisé une forme de «pay to win» dans un produit déjà vendu au prix fort.
Le contexte n’est certes pas facile pour une industrie ou les coûts de conception de leurs grosses productions explose et que le prix d’un jeu à l’unité n’est pas augmentable sur le même rythme. À elle pourtant de trouver une solution élégante et honnête qui ne contrarie pas ceux qui estiment légitimement avoir déjà payé pour une expérience complète.