TennisBacsinszky: «Ça a commencé lorsque j’ai instauré une bouffe»
La Vaudoise, aujourd’hui à la retraite, et Christiane Jolissaint dévoilent en cinq points les dessous et les origines du triomphe suisse en Billie Jean King Cup.
- par
- Chris Geiger
Accomplissement
Après deux finales perdues (1998, 2021) et deux accessions aux demi-finales (2016, 2017), les Suissesses ont enfin écrit la plus belle page de leur histoire en triomphant de l’Australie dimanche.
«C’est extraordinaire, se réjouit Christiane Jolissaint, vice-présidente de Swiss Tennis. Toute la semaine s’est super bien passée. Pouvoir gagner quatre fois au cours de la même semaine, tenir jusqu’au bout, gagner la finale, toujours avec cette même tension, c’est clairement un exploit. Ce dernier représente sans aucun doute un aboutissement pour l’équipe. Ça faisait déjà un petit moment qu’elles voulaient ramener cette coupe à la maison, elles qui étaient déjà allées jusqu’en finale l’année dernière.»
Mais, cette fois, l’issue a été heureuse. Ce qui a particulièrement ému Timea Bacsinszky, qui a longtemps partagé les vestiaires et les courts avec Belinda Bencic, Viktorija Golubic, Jil Teichmann et, dans une moindre mesure, Simona Waltert.
«C’est absolument fantastique pour elles, mais surtout pour la Suisse et les générations futures, s’exclame la Vaudoise. C’est un moment historique pour tous les mordus de tennis, mais aussi pour les anciennes joueuses comme moi qui ont contribué à la formation de cette équipe. Même si je n’étais pas là, même si je ne faisais pas partie de l’équipe, je sais qu’une toute petite partie de ce titre me revient ainsi qu’à toutes ces joueuses qui ont défendu les couleurs de la Suisse au cours des dernières années.»
L’ancienne joueuse de Belmont-sur-Lausanne, deuxième Suissesse la plus capée en Billie Jean King Cup (ou Fed Cup) derrière Patty Schnyder, apprécie l’investissement des joueuses pour le drapeau rouge à croix blanche. «Ça n’a pas toujours été facile quand il fallait aller au fin fond de je ne sais où pour jouer une rencontre, alors que le programme était déjà très chargé, poursuit-elle. Il a parfois fallu mettre l’équipe nationale en priorité et non sa carrière individuelle. Ce qu’elles ont aussi fait.»
Moment charnière
Le titre remporté dimanche trouve certainement son origine sept ans plus tôt, lors d’un barrage de tous les dangers en Pologne. «Belinda n’était pas là, Romina (Oprandi) était blessée et Viktorija ne jouait pas encore au même niveau qu’actuellement, se remémore Timea Bacsinszky. Il fallait donc trouver une solution. Finalement, Martina (Hingis) avait dû jouer en simple. Et Viktorija en double. Ce barrage avait été hyper dur pour nous car on avait affronté la No 2 mondiale et une autre joueuse du Top 40, alors que de notre côté j’étais un peu la seule à être compétitive en simple.»
Grâce notamment aux trois points marqués par la demi-finaliste de Roland-Garros, la Suisse était parvenue à se maintenir dans l’élite du tennis mondial. Et susciter l’envie de jouer pour la nation chez certaines. «Les autres filles avaient vu cette rencontre de l’extérieur. Elles ont remarqué que certaines joueuses jouaient le jeu et avaient fait en sorte que la Suisse ne descende pas dans le groupe mondial 2. Malgré le fait que l’équipe n’était pas la plus forte à disposition, ça restait possible de gagner. Ça a donné beaucoup d’entrain au reste de l’équipe pour jouer.»
Dans la foulée, les Helvètes allaient accéder au dernier carré à quatre reprises en sept éditions.
Composition parfaite
Si Belinda Bencic est l’incontestable leader de l’équipe, Viktorija Golubic et Jil Teichmann ont parfaitement assumé leur statut à Glasgow. La Zurichoise a joué une rencontre en phase de groupe (Canada) ainsi que la demi-finale contre la Tchéquie, alors que la Biennoise a disputé l’autre affiche de la phase de poule (Italie) et la finale face à l’Australie.
«Belinda peut avoir des jours sans, mais elle est vraiment un élément très sûr, note Christiane Jolissaint. À côté d’elle, il y a ces deux joueuses interchangeables. Il y a quelques calculs et stratégies pour choisir l’alignement, mais les joueuses participent aussi au choix des joueuses qui vont jouer. Ce n’est pas que Heinz qui décide. Ce dernier a beaucoup de chance d’avoir Jil et Viktorija, qui sont solides et qui ont un jeu différent. Toutes les deux méritent de jouer en No 2, comme elles l’ont bien prouvé.»
Elles ont aussi su mettre leur ego de côté et accepter de céder leur place, même après une victoire. Par exemple, Viktorija Golubic, décisive en demi-finale, a dû regarder Jil Teichmann prendre la mesure de Storm Sanders le lendemain en finale. «Mais elle a largement participé à ce titre, rappelle la dirigeante. En coulisses, c’est un investissement de tous les jours au niveau de la qualité des entraînements, du soutien apporté aux coéquipières qui vont jouer. C’est beaucoup plus que le seul match qu’on voit sur le terrain. Le match se gagne aussi à travers toute cette préparation.»
Esprit d’équipe
C’est la principale force de la sélection de Heinz Günthardt. Les Suissesses ont toujours la banane quand elles se retrouvent et ça se ressent dans leurs performances.
«Toutes ces joueuses adorent représenter la Suisse, confirme Christiane Jolissaint. Ça fait des années qu’elles jouent bien, voire mieux lorsqu’elles jouent pour la Suisse. Elles adorent jouer pour la nation, aussi parce que ça se passe très bien au sein de l’équipe et avec le capitaine. S’il y avait des tensions, elles deviendraient peut-être plus personnelles et individualistes. Mais là, elles forment un groupe. Les interactions entre ces filles sont assez géniales.»
Chouchoutées, Belinda Bencic et ses partenaires n’ont qu’à se concentrer sur le tennis lorsqu’elles rejoignent la sélection. «Il y a toute une équipe autour d’elles, avec les physios, les médecins, le team manager, reprend l’ancienne professionnelle. Tout est organisé à la perfection. Il n’y a aucun souci extérieur, tout est fait pour elles. Leur seule responsabilité est d’être prêtes quand elles arrivent sur le terrain. Tout ça aide beaucoup.»
Ces conditions doivent beaucoup à Timea Bacsinszky, qui a joué un rôle majeur dans le développement et la professionnalisation de l’encadrement de l’équipe lorsqu’elle était encore active.
«Si on propose aux filles un staff et des soins suffisants, différentes options, des personnes compétentes qui entourent l’équipe et qui sont en place depuis des années, ça crée une énorme stabilité, explique-t-elle. Du coup, les filles ne se disent pas qu’elles vont perdre leur forme durant cette semaine de Billie Jean King Cup. Au contraire, elles se disaient que ça peut fédérer l’équipe, que cette dernière peut aller loin dans la compétition et que ça va les aider pour leur carrière personnelle.»
Et c’est exactement ce qu’il s’est passé, puisque toutes ont brillé à un moment ou à un autre sur le circuit WTA. L’esprit de camaraderie présent au sein de l’équipe s’est d’ailleurs développé lorsque les joueuses se retrouvaient en marge des tournois majeurs.
«Ça a commencé lorsque j’ai instauré une bouffe avec toutes les Suissesses ainsi qu’avec Heinz Günthardt, lorsqu’il commentait encore pour la SRF, lors de chaque tournoi du Grand Chelem afin qu’on se voie aussi hors Billie Jean King Cup, se remémore l’ancienne No 9 mondiale. C’est une tradition qui continue encore aujourd’hui. Même si je n’y suis plus, elles ont repris cette habitude et continuent à faire ces repas. Elles jouent aussi ensemble durant l’année en double sur certains tournois. Ces liens aident vraiment. À l’époque, j’avais vu que les autres équipes faisaient beaucoup plus ce genre de choses que nous. C’est pour ça qu’on avait commencé à instaurer ça, afin de casser une certaine routine durant les tournois où chacune était un peu seule.»
Cette belle complicité au sein du groupe se retrouve jusque sur le bout des ongles des membres de l’équipe, qui se colorent un nouveau bout à chaque nouvelle victoire dans la compétition.
Retombées
C’est la grande question. Quelles conséquences positives ce triomphe planétaire va-t-il engendrer? La question reste ouverte, mais le timing est idéal. Deux mois après l’annonce du départ à la retraite de Roger Federer, les Suissesses ont eu la bonne idée de rappeler au monde entier que le tennis existait malgré tout toujours au sein de nos frontières. Et qu’on y jouait plutôt bien.
«Cette victoire est très importante, s’enthousiasme Christiane Jolissaint. On s’attendait à ce que les filles prennent le flambeau après le départ de Federer et l’âge avancé de Wawrinka, même si ce dernier a repris du poil de la bête et j’espère qu’il va pouvoir remonter au classement au niveau auquel il devrait être. On continue de parler de tennis. C’est hyper important. Tant qu’on voit du tennis à la télévision, ça va motiver les jeunes à pratiquer ce sport. Ça offre une bonne publicité à notre sport. C’est bon pour le tennis.»
Pour Timea Bacsinszky, il ne devrait toutefois pas y avoir «les mêmes retombées qu’après la Coupe Davis» remportée par les hommes en 2014 en raison du nouveau format. Ce dernier, qui se déroule sur une semaine sur terrain neutre, n’offre plus l’aspect domicile/extérieur qui enthousiasmait le public. «Il y avait peut-être plus de prestige avant», note la Lausannoise de 33 ans.
Les retombées financières sont, par contre, plus importantes tant pour les protagonistes que pour les Fédérations.