Homicide à Yverdon (VD)«Ce n’est pas de ma faute si quelqu’un est décédé»
Le caïd de la Vallée, qui a tué un jeune dealer de 21 ans pour 500 g d’herbe, a littéralement plaidé sa cause cet après-midi. Le monde à l’envers.
- par
- Evelyne Emeri
Il avait tout. Une famille aimante, une famille aisée, des bonnes notes à l’école, il tapait bien dans le ballon. Diego* (22 ans/détenu), cet Espagnol de la vallée de Joux, qui répond principalement d’assassinat et de meurtre, le dit lui-même. Posément. Le flux est efficace, le ton est érudit, les paroles sont claires. Le drame du 17 novembre 2018 au parc des Quatre-Marronniers – le cas le plus lourd sur les 31 points retenus dans l’acte d’accusation – n’a pas encore été instruit. Ce jeudi, c’est de lui qu’il va parler. Du pourquoi de cette escalade délictuelle qui va du banal vol d’un croissant à la Migros à 14 ans pour aboutir, cinq ans plus tard, à la mort d’un petit dealer qui a refusé d’obtempérer.
«Si j’avais été plus solide»
La famille de la victime est toujours là, elle qui a si bien évoqué l’être aimé quelques heures plus tôt. Et les minutes vont être longues et cruelles. Diego «monte sur scène» et déclame face à la Cour criminelle d’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, qui siège à Renens (VD). «Si j’avais été plus solide, je n’aurais pas commis toutes ces erreurs. Je ne me serais pas laissé influencer.» Premiers mots lâchés qui augurent d’une montée en puissance. «Je ne m’aimais pas, je séchais les cours, le SPJ (Service de protection de la jeunesse) est intervenu, j’essayais de devenir quelqu’un d’autre pour être plus fort.»
La culture du rap
«J’ai été un délinquant pendant cinq ans (ndlr. de 14 à 19 ans) excepté six mois quand j’ai travaillé et habité chez un ami de mon père à Moutier. J’étais à l’écart des mauvaises fréquentations, poursuit le trafiquant et consommateur d’herbe, J’étais sous l’influence d’une culture: le rap et le monde de la rue où il faut toujours porter ses couilles. Je devais gagner de l’argent rapidement, boire, fumer, une vie de fou, j’étais tout le temps en vacances.» Sans aucune gêne, il raconte aux juges, au procureur qui l’accable et à la partie civile comment il progresse dans sa reconstruction. Époustouflant.
«En apprenant à ne plus aimer tout cela, j’ai tout arrêté. Le suivi psy en prison ne m’a pas beaucoup aidé. Les questions, je me les pose tout le temps. J’ai la volonté», ajoute Diego. Il paraît droit dans ses bottes de sept lieues: «Mes excuses, elles resteront toujours dérisoires et offensantes. À leur place – désignant le père et le frère de Goran* mort par sa faute d’une balle dans la tête – je voudrais qu’il prenne cher». À leur place… «Depuis ma détention, j’ai beaucoup réfléchi, il y a un réel changement qui s’opère progressivement. Ce n’est pas de ma faute si quelqu’un est décédé. Il fallait que je touche le fond.»
«Et on doit vous croire?»
«Et on doit vous croire? lance, ulcéré, le procureur Bernard Dénéréaz, C’est mot à mot ce que vous nous avez déjà servi dans un précédent dossier.» Le chef de bande persiste. Il a eu une «grosse prise de conscience: «Je me forme pour me réinsérer, je suis motivé. J’ai 22 ans et je n’ai rien construit. Je veux rendre mes parents fiers et trouver une femme. Je n’ai pas voulu tuer cette personne. J’ai un casier chargé, je suis surendetté, avec ma réputation, je vois ma vie en dehors de la Suisse. Je veux profiter de la prison pour me reconstruire. J’ai appris l’anglais tout seul».
«Votre discours est choquant»
Je, Je, Je… Le paroxysme de l’égocentrisme. Et puis cette ultime déclaration du jour par le meneur de cette affaire de trafic de cannabis: «C’est à cause de moi que nous sommes ici. Je ressens de la culpabilité. Je me dévalorise. Si je n’accepte pas, c’est la dépression ou les troubles anxieux depuis trois ans». Toute la salle d’audience a eu droit à cette logorrhée déplacée d’un récidiviste qui, cette fois, a tué. Et qui aurait pu aussi donner la mort à deux autres reprises. L’avocat de la famille de la victime, Me Charles Munoz, ne posera aucune question. Il est atterré: «Votre discours répété n’est pas crédible. Il est choquant».
Des complices plus sincères
Le bras droit du boss, Mirjan* (24 ans/aussi détenu), et Romain* (21/libre), qui a planqué de la drogue et une arme dans sa cave, ont aussi pu se raconter. Leurs propos ont sonné nettement plus justes. Mirjan a plongé après le décès de son bébé de 6 mois, sa consommation a doublé et le reste a suivi: «Je veux me racheter et faire le bien autour de moi. J’ai pensé à du bénévolat ou à des associations. Je me sentais mal, je me suis créé une autre identité pour échapper à la réalité. Ces actes n’auraient jamais dû être commis. Je suis coupable. Si seulement je pouvais remonter le temps». Et de présenter ses condoléances aux proches qui le dévisagent.
«J’ai marché pour consommer»
Des mots, il en dira peu, Romain. Lui aussi a plongé après avoir été racketté et harcelé à l’école au point de ne plus y aller. Une consommation en hausse, un caïd qui le valorise et ce fut l’engrenage: «J’ai honte. Je n’ai pas été capable d’agir autrement. J’ai marché (dans la combine) en échange de stupéfiants».
En principe, les faits à proprement parler – la tuerie du 17 novembre 2018 – seront abordés dès demain vendredi. On verra comment le trio s’en sortira face aux preuves irréfutables. Le réquisitoire du Ministère public et les plaidoiries des avocats sont prévus en début de semaine prochaine. La date du verdict n’est pas encore connue.
*Prénoms d’emprunt