MystèreMort de Philippe de Dieuleveult: «J’ai de nouvelles preuves concernant son assassinat»
Alexis de Dieuleveult, neveu de l’animateur de «La chasse aux trésors», publie des documents inédits qui mettent à mal, une nouvelle fois, la thèse officielle de la noyade dans le fleuve Zaïre, en août 1985.
- par
- Laurent Siebenmann
Alexis de Dieuleveult ne lâche pas l’affaire. Mieux, le neveu de Philippe de Dieuleveult, l’animateur de «La chasse aux trésors» disparu mystérieusement en août 1985 lors d’une expédition sur le fleuve Zaïre, revient avec de nouveaux documents exclusifs. Ces derniers renforcent l’hypothèse que l’aventurier n’est pas mort noyé – comme le voudrait la version officielle – mais bel et bien assassiné par l’armée zaïroise.
Le 6 août 1985, Philippe de Dieuleveult tentait de franchir les monstrueux rapides d’Inga, sur le fleuve Zaïre. Officiellement, selon les autorités françaises, l’animateur du jeu télévisé d’Antenne 2 et de la RTS s’est noyé avec ses six camarades d’expédition, lorsque leurs deux catarafts, pris dans les flots déchaînés, se sont retournés. Mais très vite, des zones d’ombre étaient apparues.
Durant trente ans, Jean de Dieuleveult, militaire de carrière et frère du disparu, a mené l’enquête. A la mort de Jean, son fils, Alexis, a pris le relais et publié le résultat de ces investigations dans un livre paru en 2020, «Noyade d’Etat, la mort de Philippe de Dieuleveult» (Ed. Balland). Cet ouvrage est désormais disponible dans une nouvelle version, avec des éléments explosifs. De plus, France 2 diffusera prochainement un grand documentaire consacré à cette affaire, «Dieuleveult, les disparus du fleuve», produit par Gaumont TV.
Alexis de Dieuleveult, dans la première édition de votre livre, vous expliquiez que, ce terrible 6 août 1985, au matin, Philippe et ses camarades ont été vraisemblablement victimes d’une effroyable bavure militaire. Et pas d’une noyade.
Les responsables de l’armée zaïroise croyaient avoir affaire à des terroristes venus s’attaquer aux barrages hydroélectriques situés au bord du fleuve Zaïre. Peu après le passage des rapides d’Inga, les deux catarafts où avaient pris place les sept membres de l’expédition Africa-Raft ont probablement été pris pour cibles par des militaires zaïrois. Philippe a survécu à ces tirs puis a été capturé, interrogé et finalement exécuté. Quand les autorités se sont rendues compte de leur erreur, tout a été fait pour effacer cette bavure politiquement très gênante en faisant croire à une noyade.
Qui a fait croire à l’armée Zaïroise que l’expédition de Philippe était un commando de terroristes?
Les services français avaient envoyé, peu avant, un télégramme aux autorités zaïroises les informant d’une possible attaque des barrages d’Inga, par un commando cubain en provenance d’Angola se déplaçant en rafts sur le fleuve. En faisant cela, ils ont mis sciemment en danger les membres de l’expédition.
Passons maintenant à la nouvelle version, augmentée, de votre livre. Sur sa couverture, vous déclarez: «Je ne vais pas me taire». A qui adressez-vous cette phrase?
C’est un message clair à l’intention de ceux qui souhaiteraient que je me taise. Comme le Ministère des Armées. N’oubliez pas que ce sont les militaires français qui ont encadré les recherches, à l’époque, sur place. Et puis, au-dessus de l’armée, je m’adresse aux politiques qui continuent à bloquer l’enquête. Bientôt trente-huit ans après les faits, on m’encourage encore clairement à accepter la thèse officielle de la noyade par accident… Mais quand on dispose des éléments de mon enquête et, en plus, des documents en ma possession, ça n’est pas acceptable. C’est même inconcevable.
Après la première édition de votre livre, où vous adressiez également une lettre ouverte au président Emmanuel Macron, les choses ont commencé à bouger.
Oui. J’ai adressé notamment un courrier à la Ministre des Armées alors en poste, Florence Parly, avec copie à la DGSE et à l’Elysée. On m’a alors une nouvelle fois reçu. Et la version, pour la toute première fois, a changé. On est passé, en quelques semaines, de «aucun doute, c’est une noyade» à «on ne sait pas». Vous rendez-vous compte?
Grande première également, Roland Dumas, alors Ministre des relations extérieures puis Ministre des affaires étrangères, a lui aussi changé son point de vue.
En effet. Roland Dumas a lu le livre puis m’a reçu chez lui. Suite à cela, il a écrit en personne à Emmanuel Macron, afin de lui demander de se pencher sur cette affaire! Il a reconnu devant moi, pour la première fois, que toute la vérité n’a pas été découverte, concernant la disparition de Philippe et ses six camarades. «Oui, il y avait bien des bandes armées près du fleuve Zaïre», m’a-t-il dit. C’est incroyable!
Il faut dire, aussi, que vous avez nouvellement mis la main sur des documents officiels édifiants concernant la mort de Philippe. Racontez-nous comment vous avez pu les consulter.
Il a fallu me battre. C’est en mettant tout le monde «dans la boucle» de mes demandes que cela a commencé à faire réagir. J’ai dû interpeller les parlementaires, afin de les faire bouger, de les sensibiliser. Cela a payé: le député de l’Oise a posé une question écrite au gouvernement, demandant l’ouverture des archives. Question officielle a été posée à l’actuel Ministre des affaires étrangères, qui a été obligé de répondre.
Vous avez ainsi eu accès à des courriers, concernant l’affaire, de l’Ambassade de France à Kinshasa, envoyé à l’époque des faits.
Oui, ces dossiers sont entreposés au Centre des archives diplomatiques, à Nantes. Ils sont contenus dans deux gros cartons. Il faut savoir que l’on m’a d’abord refusé leur consultation car tout cela est classé pour une durée de cinquante ans. J’ai pu faire une demande de dérogation. Mon nom et avoir écrit un livre m’ont aidé. On y trouve donc des télégrammes entre Kinshasa et Paris signés par l’Ambassadeur de l’époque. Ils sont secret-défense et datent d’août 1985.
Que disent-ils?
L’Ambassadeur y parle clairement de l’hypothèse de la bavure. Il écrit que les militaires zaïrois ont probablement «anéanti» (sic) l’expédition prise pour un groupe de mercenaires. Il dit également que, la veille du drame, l’équipe de Philippe n’était pas passée inaperçue, que les militaires zaïrois étaient en alerte, que des mesures avaient été mises en place le long du fleuve Zaïre, sous les rapides d’Inga... Mon oncle et ses amis étaient effectivement attendus. Il n’y a plus aucun doute.
Vous faites également référence au témoignage d’un ingénieur américain présent sur les lieux, le matin du drame.
En effet, ce monsieur a été entendu par le FBI aux Etats-Unis. Il affirme avoir vu le raft de Philippe, «La Françoise», ressortir intact des rapides et ses occupants dans l’eau, se tenant à l’embarcation, comme pour se protéger. Il confirme formellement la présence d’hommes armés qui mettaient en joue le cataraft. Il a vu trois camions de militaires prendre position. On est donc bien en présence d’une affaire d’Etat et pas d’un triste accident sportif.
On est bien loin de la conclusion du rapport d’enquête de la brigade criminelle qui, en 2003, affirmait encore qu’aucun élément exploitable ne pouvait contrecarrer la thèse de la noyade…
Aujourd’hui, en 2023, je suis en mesure d’apporter des éléments nouveaux, concrets et, qui plus est, officiels – on parle d’archives diplomatiques, je vous le rappelle – qui démontrent que Philippe de Dieuleveult et ses camarades ont bel et bien été victimes d’une bavure et assassinés par l’armée zaïroise. A ce stade, il faut maintenant réouvrir le dossier d’instruction.
Les bénéfices de la vente du livre d’Alexis de Dieuleveult iront à une association caritative.