Afghanistan - De Cannes à l’enfermement à Kaboul: un réalisateur afghan à l’ère des talibans

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AfghanistanDe Cannes à l’enfermement à Kaboul: un réalisateur afghan à l’ère des talibans

«J’ai peur. Je reste à la maison. Je ne suis pas un gars ordinaire pour sortir et marcher dans la rue. Je suis Salim Shaheen, j’ai fait 125 films» raconte-t-il.

Sur cette photo prise le 27 novembre 2021, le réalisateur afghan Salim Shaheen fait des gestes en parlant, lors d’un entretien avec l’AFP dans sa résidence de Kaboul.

Sur cette photo prise le 27 novembre 2021, le réalisateur afghan Salim Shaheen fait des gestes en parlant, lors d’un entretien avec l’AFP dans sa résidence de Kaboul.

AFP

En 2017, il paradait sur le tapis rouge du Festival de Cannes. Mais quatre ans plus tard, le réalisateur afghan haut en couleur Salim Shaheen, qui a 125 films de série B à son actif, est terré chez lui à Kaboul, terrifié par les talibans.

Salim Shaheen est l’exubérance incarnée. Il rit fort, crie, lève les mains au ciel. L’homme de 56 ans parle volontiers de lui à la troisième personne et se comporte comme s’il jouait dans l’un de ses films, du Bollywood afghan à petit budget. Alors quand on l’interroge sur ses souvenirs du festival de Cannes, il explose. «C’était le plus beau jour de ma vie!» dit-il en s’agitant. «Tous les Français me connaissent. Ils criaient «Shaheen! Shaheen!» J’étais surpris qu’ils me connaissent, puis j’ai compris que mon film était déjà dans les cinémas».

En réalité, ce n’était pas «son» film qui était présenté à Cannes, mais un documentaire sur lui, «Nothingwood», dans lequel la journaliste Sonia Kronlund suivait Shaheen en train de tourner son 111e film. Le réalisateur et acteur afghan avait bien été accueilli par une standing ovation longue de plusieurs minutes après la projection presse, comme l’écrivait alors l’AFP.

«Je suis bloqué ici»

Ce temps semble très lointain. Même si Salim Shaheen, un cinéaste très connu dans son pays, n’a pas reçu de menace directe des talibans, il vit désormais dans la peur des islamistes radicaux qui ont pris le pouvoir mi-août après deux décennies d’insurrection. «J’ai peur. Je reste à la maison. (…) Je ne suis pas un gars ordinaire pour sortir et marcher dans la rue. Je suis Salim Shaheen, j’ai fait 125 films», dit-il en prenant son air le plus grave.

À l’arrivée des talibans à Kaboul le 15 août, il a brûlé des dizaines d’affiches de ses films. Il n’en reste plus que deux dans la salle vide, où, dit-il, il recevait le tout-Kaboul pour des projections. Bien sûr, il a essayé de quitter l’Afghanistan en août. Il était, dit-il, sur des listes de la France. «Je devais partir le jour où il y a eu l’explosion à l’aéroport. Nous étions le quatrième véhicule à entrer dans l’aéroport quand l’explosion a eu lieu. Nous avons reçu un message nous demandant de quitter la zone». L’attaque revendiquée par l’organisation État islamique avait fait plus de 100 morts le 26 août.

Depuis, «je suis bloqué ici», avec les douze membres de sa famille. «Tous les acteurs et les actrices de mes films sont désormais en France. (…) Je veux aller dans un endroit où je pourrai reprendre dans le cinéma».

«Le cinéma est mort»

Car son cinéma ne colle pas vraiment avec l’Afghanistan des talibans. Il puise son inspiration à Bollywood. Ses films flirtent avec tous les genres, action, drame, comédie, policier… On y chante (souvent faux), on y danse, on y joue en criant. Un cinéma à son image, exubérant, et aussi improvisé, fait de bric et de broc. «La plupart de mes films abordent des sujets sociaux, les violences faites aux femmes, la drogue, jamais des questions politiques».

À Kaboul, prononcer son nom déclenche généralement un sourire. Le personnage est connu pour son talent à l’exagération. Son cinéma n’est pas du goût des Afghans éduqués, mais a trouvé son public dans les classes populaires. «Les gens dans les conversations reprenaient les répliques de mes films!» «Bigi Khuda», ou «Contrôlez-vous», tout comme «Maza Sare Maza», «joie après joie», avaient trouvé leur place un temps dans les rues.

Au ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, on martèle que «les films contre la culture afghane et la culture islamique ne sont pas autorisés». Rien de précis concernant Salim Shaheen: «Je n’ai pas vu ses films, donc je ne peux pas commenter», se contente de dire un porte-parole. Mais mi-novembre, ce ministère a appelé les télévisions afghanes à ne plus diffuser de séries montrant des femmes, dans le cadre de nouvelles «directives religieuses».

«C’est impossible de faire des films sans femme», commente Salim Shaheen. «Le cinéma est mort en Afghanistan, et Salim Shaheen est mort avec!» proclame le réalisateur. Il vient de terminer de monter ses trois derniers films, sans savoir s’ils seront un jour diffusés. Alors à défaut de jouer devant la caméra, il s’amuse dans la petite cour de sa maison: il prend la pause sans se faire prier et se met à s’agiter pour jouer l’un de ces personnages qui lui étaient si chers.

(AFP)

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