CinémaCritique: «Asteroid City» a du mou dans la vignette
Le nouveau film de Wes Anderson est à la fois un de ses plus visuellement accomplis et le plus indolent. Quelle est cette diablerie?
- par
- Jean-Charles Canet
On admire Wes Anderson depuis ses films de jeunesse («Rushmore» par exemple) jusqu’au plus récent, «The French Dispatch», en passant par nos chouchous que sont «La vie aquatique», «Moonrise Kingdom» et «The Grand Budapest Hotel». Autant dire qu’on se réjouissait de découvrir «Asteroid City» dont la bande-annonce nous avait mis particulièrement en joie. C’est toujours le cas d’ailleurs. Et quelle distribution!
On avait même conçu dans notre tête tout un discours sur les pisse-froid de Cannes, ceux qui avaient rhabillé le film (en compétition) pour l’hiver, incapables d’apprécier l’humour pince-sans-rire de notre dandy préféré. Même les jurés du Festival allaient en prendre pour leur grade, ces cuistres qui n’avaient pas eu le bon goût d’offrir à l’artiste au moins une palme pour sa mise en scène taillée au cordeau.
Et puis on a vu «Asteroid City», dès mercredi dans les salles romandes, et on désespère de n’être pas parvenu à l’aimer autant qu’on aurait souhaité.
Le film se situe dans une petite ville fictive des États-Unis qui a la particularité d’être construite à côté d’un cratère géant creusé par une météorite. Vers cet amas de constructions au cœur du désert converge soudainement toute une faune de jeunes, d’aînés et d’entre deux eaux: un concours scientifique scolaire y est organisé. Dans le lointain, on devine un champignon nucléaire, ce qui permet de dater l’action dans les années cinquante. Sur le sable, un Roadrunner miniature (peut-être une référence à l’oiseau de «Bip-bip et le coyote» des cartoons de l’âge d’or) picore. Et il a une drôle de démarche.
Comme à son accoutumée, Wes Anderson a décomposé son film en vignettes dont il délimite soigneusement le cadre, tantôt fixe tantôt accompagné des célèbres mouvements de caméra latéraux. À l’intérieur, Anderson place avec le même soin méticuleux ses vedettes visiblement très heureuses d’animer les tableaux du maître; les habitués tel Jason Schwartzman et les nouveaux tels Tom Hanks ou Scarlett Johansson. Il y a les premiers plans dans lequel les comédiens sont priés de se mettre en mode Droopy et les arrière-plans presque toujours habités par une incongruité voire un gag. Prise une à une, cela reste délicieux.
Pourtant, un ressort s’est cassé. Les vignettes s’enchaînent mais au lieu de contribuer à un harmonieux crescendo, elles se mettent à bégayer. L’admiration amusée s’étiole alors et laisse place à une lente descente vers l’indolence. Le montage, constitué de briques de même taille et de quasi même durée, ne construit ainsi plus rien. Une douce torpeur s’installe.
Une question surgit: pourquoi ce qui fonctionnait dans le passé ne marche plus ici? Est-ce l’émetteur qui est cassé ou le récepteur? Sans exclure totalement la dernière hypothèse, on se risque à une autre: les ruptures de ton et ainsi le rythme dans le cinéma d’Anderson se sont fait la malle. Il manque sans doute une ou deux séquences de pure action – tels qu’on en trouvait encore dans «The Grand Budapest Hotel» – pour introduire les respirations nécessaires. Et puis, ici, Anderson semble avoir renoncé à raconter quoique ce soit. Chaque séquence pourrait être autonome et interchangeable. D’où l’incapacité du film à soutenir l’intérêt sur la durée. Reste des petits sketches plus ou moins drôles qui ne font hélas pas un film.