CommentaireBoris Johnson et Ignazio Cassis, ou l’axe du bien
La neutralité suisse ne tient plus qu’à l’interdiction de vendre des armes à l’Ukraine. Ce n’est pas la rencontre entre Boris Johnson et Ignazio Cassis de jeudi qui dira le contraire.
- par
- Eric Felley
«De tous les gouvernements du monde, un seul croit encore que la Suisse est neutre: c’est le Conseil fédéral». À son retour jeudi d’un voyage éclair à Kiev, le conseiller national Yves Nidegger (UDC/GE) a fait cette observation ironique de son cru. Avec la présidente du Conseil national Irène Kälin (V/AG) et Roger Nordmann (PS/VD), le Genevois revenait d’une visite de soutien aux Ukrainiens, notamment à leurs collègues parlementaires.
Pendant ce temps, le président du Conseil fédéral, Ignazio Cassis, était à Londres, où il a rencontré le premier ministre Boris Johnson, qui est un des plus virulents détracteurs de Vladimir Poutine. Le Tessinois a exprimé sur Twitter sa satisfaction: «Heureux de discuter de deux sujets clés avec le premier ministre Boris Johnson de notre partenariat bilatéral et de la guerre en Ukraine. Il est crucial que les démocraties européennes renforcent leurs liens. La feuille de route sur laquelle nous nous sommes mis d’accord aujourd’hui élargit encore notre coopération».
En s’affichant avec Boris Johnson, on ne peut pas dire que le président renforce l’image de la neutralité suisse aux yeux des Russes. Si le concept de neutralité fait polémique dans les salons, sur le terrain la position de la Suisse ne fait plus mystère depuis longtemps. En reprenant les sanctions européennes contre la Russie et en bloquant l’argent des oligarques, la Suisse a clairement choisi son camp contre une violation crasse du droit international.
Les armes, dernière réticence morale
La neutralité n’a pourtant pas tout à fait disparu. Un tabou demeure vivace: pas question de fournir des armes aux Ukrainiens. La semaine dernière, l’Allemagne avait demandé que la Suisse fournisse des munitions pour des blindés destinés à l’Ukraine. Le Département de Guy Parmelin a mis son veto en invoquant la neutralité. Le président du Centre, Gerhard Pfister, a dénoncé cette hypocrisie. Mais, lors de sa visite en Ukraine, Irène Kälin a bien précisé à ses interlocuteurs: «Que la Suisse ne pouvait et ne voulait pas livrer d’armes, et qu’elle n’allait pas le faire.»
Le monde en deux camps
De la neutralité suisse, il ne reste donc que cette réticence morale à vendre des armes, qui a provoqué par le passé de larges débats au Parlement. De toute façon, l’agression de Vladimir Poutine a pour conséquence de diviser le monde en deux camps. Le président russe a déjà placé la Suisse dans celui qui lui est hostile. De par la dimension de sa place financière, elle ne pouvait faire autrement que de rallier les sanctions et se montrer coopérante avec ses voisins européens et les États-Unis.
Si une troisième guerre mondiale devait éclater, la Suisse ne serait donc pas «protégée» par sa neutralité comme ce fut le cas lors la Seconde Guerre mondiale. Le pays a donc tout intérêt à ce que le conflit reste circonscrit dans l’est de l’Ukraine, tout en cherchant des voies diplomatiques pour y mettre fin. Le problème est qu’il y a un tel fossé entre la vision russe du conflit et la vision occidentale, qu’on ne voit pas très bien comment Ignazio Cassis, ou un autre, pourrait le combler par des arguments et faire taire les armes.
Relever le niveau de l’armée
En Suisse, l’opinion partage à une large majorité la vision occidentale du conflit, à commencer par le Conseil fédéral. Pour en revenir à la boutade d’Yves Nidegger, le Gouvernement a évidemment conscience que la Suisse n’est plus neutre. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine est une menace pour tout le continent européen, donc pour la Suisse aussi. D’ailleurs l’UDC et la droite ont aussitôt demandé de relever le niveau notre armée. Comme ce n’est certainement pas pour attaquer la France ou l’Allemagne, c’est une forme d’aveu que la Suisse fait bien partie du conflit. Qu’elle vende ou non des armes aux Ukrainiens n’y change pas grand-chose.