ReposantÀ la télévision suédoise, l’éloge lent de l’élan
Chaque printemps, les Suédois se passionnent et se relaxent devant «La Grande Migration des Élans» un direct monté en temps réel.
Installées à travers les forêts suédoises, des dizaines de caméras retransmettent en direct à la télévision les pérégrinations des élans et autres animaux sauvages, pendant plusieurs semaines, un rendez-vous annuel qui tient en haleine un public avide de grands espaces et de rusticité.
À l’écran, haut perchés, trois élans s’approchent timidement d’un lac et hument silencieusement l’air. Dans la barre des commentaires, les messages pleuvent: «Allez-y!» «À l’eau!» «Qu’ils sont beaux!» Les élans rebroussent finalement chemin.
Une large communauté
La scène est typique de l’émission «Den Stora Älgvandringen» («La Grande Migration des Élans»). Diffusée quelques semaines chaque printemps par la chaîne publique suédoise SVT à la télé et sur les réseaux, elle fédère une large communauté qui scrute et commente jour et nuit la moindre action des cervidés.
«Les élans, on les appelle aussi les rois de la forêt», explique à l’AFP Ingvar Persson, spectateur régulier, à propos de l’imposant animal à bois dont on compte plus de 300’000 individus dans le pays. «C’est un symbole très spécial pour les Suédois», ajoute cet homme de 61 ans, chasseur sur son temps libre, qui aime le naturel que révèle ce programme télévisé.
«C’est relaxant, et aussi fascinant. La plupart du temps quand on est dans la forêt, il ne se passe pas grand-chose, le vent souffle, on attend. En ce sens c’est authentique. On pourrait se dire qu’une journée passée à attendre est une journée de perdue mais ce n’est pas le cas», dit-il.
«Pas comme Disney»
Lancée il y a cinq ans, la production rencontre un succès sans précédent dans le pays scandinave avec 12 millions d’heures visionnées en 2022. «Je n’aurais jamais imaginé que ce serait si populaire, on a fait notre meilleur lancement cette année», se félicite le créateur Johan Erhag alors que l’émission est en direct depuis le 23 avril.
«Sur les réseaux sociaux, tout est stressant, il y a de la musique, les gens parlent sans cesse. Ce que l’on fait est l’exact opposé, il n’y a que le son de la nature, on ne décide pas ce qu’il se passe. On ne veut pas que ce soit comme Disney où tout est parfait», affirme-t-il.
Trente caméras, jour et nuit
Le flux vidéo est monté en temps réel depuis une salle de contrôle tapissée d’écrans. Des équipes se relaient jour et nuit et alternent les points de vue grâce à trente caméras, pour certaines pilotables à distance, disséminées dans la région de Kullberg, au centre du pays.
Au printemps, la région est connue pour être un lieu de passage privilégié des grands mammifères qui se dirigent vers les pâturages pour les beaux jours. «La caméra n’est pas en mouvement mais il y a plein de choses à observer, ça traduit bien ce qu’est la nature», analyse Anders Lindberg, chroniqueur pour le quotidien suédois Aftonbladet.
Une forme de méditation
«C’est une forme de méditation, je crois que c’est quelque chose dont beaucoup de gens ont besoin, quelque chose qui manque aussi peut-être à ceux qui habitent dans une grande ville comme Stockholm».
Si le concept de l’émission, diffusée cette année jusqu’au 10 mai, est unique, le genre de «Slow TV» ou «TV lente» a été initié en 2009 en Norvège, avec la diffusion d’un film de sept heures capturé grâce à une caméra accrochée à l’avant d’un train traversant la campagne enneigée.
Cette formule scandinave, Anders Lindberg lui prête volontiers des vertus universelles. «C’est du spectacle après tout, et du bon spectacle, je crois que ça pourrait très bien être exporté», assure le journaliste. «Le concept de rester assis des heures à regarder alors qu’il ne se passe rien, on n’est pas les seuls à qui ça pourrait faire du bien», conclut-il.