Double homicideL’assassin de Sorens (FR): «Je me suis complètement acharné sur eux»
Au deuxième jour de son procès, l’agriculteur qui a sauvagement tué un père et son fils pour trois tracteurs, a été passé à la question par le Tribunal de la Gruyère.
- par
- Evelyne Emeri
«Acceptez-vous de répondre aux questions?», demande la présidente Frédérique Bütikofer Repond au criminel de 33 ans. Premiers mots de l’accusé en ouverture d’audience ce mardi 7 février: «Oui, Madame la Juge». La voix de l’agriculteur fribourgeois est claire, nette, elle ne le restera pas longtemps. Le chapelet est toujours dans ses mains. Il prie pour les victimes, affirme-t-il. Les larmes seront des deux côtés de la barre ce jour devant la Cour pénale de la Gruyère (FR). Le regard de Pierre*, 33 ans, se lève enfin. Il fait face à son interrogatrice qui l’enjoint à dire la vérité «pour vous, pour la famille». Le trentenaire admet d’entrée de jeu n’avoir connu qu’une famille endettée. C’est ce qui l’aurait poussé à se lancer dans un commerce de machines agricoles d’occasion. Qui n’a jamais rien rapporté, hormis quelques centaines de francs. En réalité, une arnaque aux tracteurs.
Un manuel – son père s’occupait des finances et de la gestion du domaine agricole de Sorens (FR) – qui se lance dans une demande de crédit de 100 000 francs et qui deale du matériel qu’il ne possède pas. À l’image des trois tracteurs promis aux deux Macédoniens qu’il a éliminés froidement: un père de 47 ans et son fils de 23 ans venus récupérer leur avance de 34 000 francs au soir du 24 mars 2020 à défaut de recevoir les engins. Le fusil de chasse acheté le 2 mars 2020, assorti de 250 cartouches? «C’était pour me protéger. Je me suis senti menacé par le père, lâche le tueur, Je ne savais plus ce que je faisais. J’étais désespéré, je n’en pouvais plus. J’avais peur pour moi.» Il concèdera plus tard avoir eu des idées noires et avoir voulu mettre fin à ses jours. Très difficile de trier le vrai du faux. Ses contradictions et ses incohérences le chargent, encore davantage.
«Le coup de massue»
Les actes préparatoires l’après-midi du 24 mars 2020 quelques heures avant le massacre? «J’ai plein d’amis. On ne m’a jamais appris à demander de l’aide. Je me suis toujours démerdé seul», poursuit le prévenu, souvent inaudible. «J’étais en détresse. Le SMS du papa la veille (ndlr. «Bonjour Monsieur… cette fois je suis vraiment sérieux…»), ça a été le coup de massue. Je savais que j’allais être coincé. Je n’ai pas fait le bon choix. C’est là que j’ai tout imaginé», détaille Pierre. Éliminer les deux pères de famille et les planquer. Leur tirer dessus en traître par deux fois, les envelopper dans un filet avec une bouche d’égout pour les lester, puis les dissimuler dans la fosse à purin du chalet d’alpage familial et les recouvrir de foin et de paille. «Parce que les corps n’étaient pas complètement immergés.»
Lors d’une précédente rencontre toujours autour de l’affaire des trois tracteurs, Pierre prétend que le papa défunt aurait lancé «Joli petit cul celle-là», en parlant de sa copine: «C’était mon amie, il ne le savait pas, mais il ne s’est jamais excusé. Il m’a aussi dit que si je ne faisais pas le nécessaire, ça n’allait pas aller pour la suite. Ça a été le déclencheur. Il a encore dit qu’il savait où j’habitais moi, ma famille, ma copine et qu’il pourrait s’en occuper, lui faire du mal». En fait, à aucun moment, les deux Macédoniens n’ont été agressifs ou menaçants et n’ont pu provoquer la suite préméditée de longue date (ndlr. achat du fusil). Le Fribourgeois de reconnaître: «Le père est venu vers moi. Il m’a empoigné. J’ai perdu l’équilibre. Je suis tombé tout seul. Ce n’était pas de la légitime défense». «Merci», entend-on dans le rang des plaignants.
«Ils ne méritaient pas ça»
«J’aurais dû les tenir à distance avec mon fusil. Jusqu’au dernier moment, je n’ai jamais eu l’intention de leur faire du mal. J’aurais voulu pouvoir régler cela autrement. Je me suis complètement acharné sur eux alors qu’ils ne méritaient pas ça. J’ai perdu mes moyens. J’ai reporté sur ces personnes tout ce que j’ai supporté: des années sans salaire, mon père qui ne s’investissait plus et sa nouvelle copine, ma mère malade. Et toutes ces pressions que j’ai eues du père et du fils, ça a été la goutte de trop», développe le double assassin sous psychotropes. Après avoir convenu: «Oui, j’ai visé leurs têtes lors des seconds tirs. Oui, c’était pour leur ôter la vie. C’est l’argent le problème. C’est moi aussi le problème. Avant la prison, je ne me suis pas rendu compte du mal que j’ai fait à cette famille. Il m’a fallu longtemps. C’est dur d’assumer».
Le procès se poursuit mercredi avec le réquisitoire du procureur et les plaidoiries des avocats.
*Prénom d’emprunt