CalifornieCinq ans après la légalisation du cannabis, le marché noir reste florissant
Pour les consommateurs californiens, les boutiques de CBD légales sont trop chères car trop taxées. Résultat: ils continuent à se fournir sur le marché illégal, plus accessible.
Sur un boulevard de Los Angeles, Omar Buddakey passe une porte d’immeuble surmontée d’une croix verte lumineuse. Pas de vitrine, ni de devanture. Pourtant, il émerge quelques instants plus tard de cette échoppe clandestine avec un joint à la main. Cinq ans après la légalisation complète du cannabis en Californie, le marché noir se porte comme une fleur et défie l’industrie officielle, désavantagée par les impôts et la bureaucratie.
«Les boutiques légales sont trop chères», explique l’ambulancier de 27 ans, avec son pétard acheté sans payer aucune taxe. En venant ici, ce consommateur régulier, qui fume pour réguler son anxiété, estime «économiser environ un salaire» par an. «Je préfère payer moins pour la même chose», insiste-t-il.
Son quartier populaire de l’est de Los Angeles pullule de magasins clandestins sans enseigne: souvent signalés par une simple croix verte dans la rue, ils s’affichent ouvertement en ligne, avec une page dédiée sur Google.
Toute la journée, Joe accueille ainsi les clients dans sa boutique aveugle et mal éclairée. Chez lui, 30 grammes d’herbe sont facturés 100 dollars au lieu des 135 réglementaires. «Les flics ont probablement organisé huit à dix descentes dans ce magasin», raconte l’air blasé ce vendeur d’une vingtaine d’années, qui refuse de donner son patronyme. «Ils prennent l’herbe, nos caméras et tout le cash. (…) Nous, on rouvre dans l’heure suivante ou le jour d’après.»
Taxés à mort
En 2016, la Californie a autorisé l’usage récréatif du cannabis – qui était déjà licite sur ordonnance médicale – en approuvant par référendum une loi qui promettait de «neutraliser le marché noir». Mais depuis 2018 et l’ouverture des premiers commerces légaux, le poids de l’économie souterraine reste remarquablement stable autour des 8 milliards de dollars annuels, selon Tom Adams, du cabinet Global Go Analytics.
Malgré la légalisation proclamée, presque deux tiers (61%) des exécutifs californiens n’autorisent pas la vente de cannabis dans leur juridiction. L’État compte donc à peine 1100 boutiques pour 40 millions d’habitants: de quoi créer une large base de clients insatisfaits, prêts à se fournir illégalement.
Dans les zones où le commerce est permis, «nous sommes taxés à mort. Malheureusement, cela met à rude épreuve l’industrie», peste Nathan Holtz-Poole, propriétaire d’un magasin avec pignon sur rue à Venice Beach. Dans son quartier, plusieurs enseignes de CBD – la molécule non psychoactive du cannabis – vendent sous le manteau des produits psychotropes chargés en THC, sans aucune licence. Malgré ses signalements réguliers à la police, «il n’y a aucun contrôle», soupire-t-il. «Nous nous sentons complètement abandonnés.»
L’impression de vider l’océan à la petite cuillère
Les forces de l’ordre, elles, ont l’impression de vider l’océan à la petite cuillère. Car avec la légalisation, l’échelle des sanctions pour vente illicite de cannabis a été abaissée. Résultat, lorsqu’un magasin illégal est perquisitionné, les vendeurs risquent rarement plus qu’une amende et reprennent rapidement leurs activités, résume Michael Boylls, de la brigade anti-stupéfiants de la police de Los Angeles.
Face au ras-le-bol de l’industrie légale, le gouverneur de Californie Gavin Newsom a décidé l’été dernier de supprimer une taxe sur la culture du cannabis, pour inciter les producteurs à ne pas glisser vers l’économie souterraine. Une mesure jugée insuffisante par le secteur.