FootballAnalyse: Breel Embolo, le 9 d’un projet
Joueur d’axe, d’intensité et cible par nature, le Bâlois de 25 ans a profité de ces deux matches de septembre pour s’affirmer comme attaquant de pointe de l’équipe de Suisse. Avec deux buts en prime.
- par
- Valentin Schnorhk Saint-Gall
Quand Murat Yakin dégaine son sourire malicieux, il ne faut pas s’y tromper: le message est toujours porteur de sens. Lundi, veille de Suisse - République tchèque, le sélectionneur est interrogé par un gamin venu assisté en observateur à la conférence de presse. Le script de l’échange:
« – Qui jouera en attaque mardi?
– En pointe ou sur les côtés?
– En pointe.
– Toi, qui mettrais-tu?
– Breel Embolo.
– (Murat Yakin s’interrompt deux secondes. Puis, il sourit en coin.) Bon choix.»
Non seulement, le préado avait vu juste sur la composition du lendemain. Mais en plus, il corroborait à l’idée que se fait désormais Yakin du poste. Breel Embolo est son attaquant, et les deux matches de ce mois de septembre l’ont statué.
Alors mardi, à Saint-Gall, l’attaquant de Monaco a parfaitement interprété le rôle assigné. Il a même marqué le but du 2-0. Surtout, il a servi de référence offensive à une équipe de Suisse pas toujours dans le contrôle durant les 65 minutes qu’il aura joué. Il sera la pointe la Suisse à la Coupe du monde. Et voici pourquoi, à la lumière de sa prestation contre la République tchèque.
Un joueur d’axe
Dans le 4-3-3 qui semble se dessiner pour l’équipe de Suisse, l’attaquant a une certaine liberté de mouvement, mais pas forcément de dézonage. Murat Yakin veut penser son animation offensive avec un jeu rapide et porter vers l’avant, où le chemin vers le but doit être raccourci. Ce n’est pas forcément l’avis de tous les joueurs, mais le compromis semble se trouver. Il induit en tout cas l’utilisation de Breel Embolo dans le cœur du jeu plus que sur les ailes (ce fut un échec lors de la victoire contre le Portugal en juin).
Cela tombe bien, c’est ainsi qu’Embolo prend de l’importance et s’exprime le mieux. Aussi bien pour recevoir des ballons que pour effectuer ses courses. Moins il dézone sur les côtés, plus il est une menace pour les défenses adverses, toujours contraintes de se fixer sur lui, vu sa puissance athlétique.
Ainsi, contre la République tchèque, le Bâlois de 25 ans ne s’est pas perdu dans une volonté d’aller toucher le ballon dans toutes les zones du terrain. Sur ses 35 ballons touchés, un seul a été demandé et reçu proche de la ligne de touche. C’était alors sur une transition en début de match. Pour le reste, et notamment sur les phases d’attaque placée, il a surtout agi sur la verticalité axiale. Cela l’a servi lui, mais aussi les autres.
Un joueur d’intensité
Le projet suisse qui se dessine entre Murat Yakin et ses joueurs est celui où il faut savoir être agressif défensivement, quand l’équipe le peut. Autrement dit, il faut pouvoir presser. En la matière, avec Breel Embolo, la Suisse a un monstre. L’attaquant se fait l’économie de très peu de courses, au point de ne pas toujours pouvoir être suivi. En Espagne samedi, son rôle a surtout été ingrat, à se démener pour faire en sorte que la première relance de la paire Eric Garcia - Pau Torres ne soit jamais confortable.
Contre les Tchèques, il lui a aussi fallu se montrer actif et intense dans ses efforts. Sa capacité à agresser le porteur de balle est capitale dans cette approche, notamment face à des équipes réputées moins fortes. Si en Espagne, la Suisse a souvent dû défendre bas, à Saint-Gall, elle a eu des séquences dans le camp adverse qu’elle a réussi à maintenir, notamment grâce à l’énergie déployée sans ballon d’Embolo.
Mais celui qui compte déjà 58 sélections à son compteur offre aussi une autre dimension intéressante à l’intensité: elle se répercute dans les duels. Mardi, il en a disputé 21 en un peu plus d’une heure, très loin devant l’ensemble de ses coéquipiers. Peut-être s’imprègne-t-il un peu trop de ces situations-là, mais il en ressort très souvent vainqueur. Un aspect qui est précieux pour un collectif qui veut pouvoir pratiquer par séquences un jeu direct ou, simplement, éliminer les lignes adverses sur action placée. Et dans le pire des cas, il obtient une faute (3 contre la République tchèque).
Un joueur cible
Axial et capable de surnager dans un combat physique, Breel Embolo s’inscrit par conséquent dans un jeu vertical et volontiers direct. Avec des fonctions différentes selon les phases de jeu, mais qui se complètent bien. Sur les phases de transition offensive, il est un joueur que l’on peut trouver une ou deux passes après la récupération du ballon.
En revanche, c’est rarement dans la profondeur qu’il sollicite ces ballons, mais presque exclusivement dans les pieds. Parfois, en décrochant vers l’arrière, ou alors en dézonant vers un espace moins dense, où il peut miser sur son physique pour conserver le ballon en résistant au duel, tout en permettant à la Suisse de respirer. Ou alors, et il en a fait usage mardi soir, il n’hésite pas à venir demander le ballon très bas en misant sur sa puissance et sa force de pénétration pour remonter à lui seul le terrain. Et lorsqu’il est lancé, plus grand monde ne peut l’arrêter régulièrement.
Mais Breel Embolo est un peu plus qu’un joueur cible que l’on utilise simplement pour faire remonter son bloc. On peut tout à fait l’intégrer et en profiter dans le cadre d’une animation offensive plus patiente, où l’on cherche à déstabiliser une défense adverse placée et compacte. Il peut être le facteur X, la variable qui fait tout changer.
Avec une certaine tendance à décrocher. Parfois trop bas et inutilement, mais parfois suffisamment proche des adversaires pour focaliser l’attention de deux ou trois d’entre eux et donc libérer des coéquipiers dans des espaces plus libres. Il est un réceptacle de la pression adverse, permettant aux autres (notamment sur les ailes) de bénéficier d’une liberté bienvenue. Cela peut constituer un projet.
Un joueur de surface?
La question peut se poser. Breel Embolo a soigné ses statistiques en équipe de Suisse en ce mois de septembre, avec deux buts supplémentaires. Son bilan reste maigre: 11 buts en 58 sélections, même s’il a souvent joué un rôle de joker et a rarement été l’attaquant de pointe désigné. Est-il donc véritablement un attaquant de surface, capable d’être performant dans la dernière zone?
Lui veut s’en convaincre. Il l’a dit samedi dernier. Murat Yakin a appuyé l’idée mardi: «Beaucoup se sont souvent demandé où il pouvait apporter le plus. En No 8, sur un côté, ou en appui d’un attaquant. On a vu ces derniers temps à Mönchengladbach et maintenant à Monaco, qu’il est à sa place en attaquant central. Sa puissance, son intensité, c’est précieux et il l’a encore montré en Espagne et à Saint-Gall.» Pourtant, il touche relativement peu de ballons dans les seize mètres adverses (3,3 par match en moyenne avec Monaco cette saison, bien loin des meilleurs dans le domaine) et tend à sous-performer ses Expected Goals (mardi, il a été en plein dans le modèle, qui lui attribuait 1,04 xG).
Face à la République tchèque, avec cinq tirs, il aura tout de même fait preuve d’un certain impact. Aussi, les rares fois où il s’est trouvé face au jeu, il aura donné de bons ballons (notamment à Djibril Sow) dans les vingt derniers mètres.
Et puis, en réponse à la question initiale, en vient une autre, peut-être plus pertinente: faut-il demander à Embolo d’être clinique dans la surface au regard de ce qu’il est capable de faire dans le jeu? L’enjeu de Murat Yakin n’est-il pas de trouver désormais les meilleurs ailiers ou milieux à lui associer? Le retour de Noah Okafor est attendu.