Football - Rejeté à Sion, Dionisio devient champion d’Équateur

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FootballRejeté à Sion, Dionisio devient champion d’Équateur

Ricardo Dionisio a remporté le premier titre en championnat de l’histoire de l’Independiente del Valle. Une conclusion magnifique à une année bouleversante pour le technicien portugais, bras droit de l’entraîneur en chef. Il raconte.

Florian Vaney
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Florian Vaney
La joie du staff de l’Independiente dimanche après la victoire finale. Au premier plan, Ricardo Dionisio. À droite, Renato Paiva, l’entraîneur principal.

La joie du staff de l’Independiente dimanche après la victoire finale. Au premier plan, Ricardo Dionisio. À droite, Renato Paiva, l’entraîneur principal.

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Lorsqu’il est l’heure de se remémorer les entraîneurs regrettés du FC Sion, partis trop vite pour nourrir la tradition valaisanne, il est de coutume de lancer en premier le nom de Peter Zeidler. À raison sans doute. Suivent souvent les mêmes personnalités, au bilan comptable honorable, aux épaules suffisamment solides pour ne pas plier sous la pression d’Octodure. Le genre de liste où n’apparaîtra sans doute jamais Ricardo Dionisio, ses cinq matches (deux points) et quelques semaines passées sur le banc début 2020. Le Portugais a-t-il été jugé trop vite? Il ne serait pas le premier. En train de savourer le bonheur d’un titre qu’il vient de remporter en Équateur, c’est peu dire qu’il ne se torture plus l’esprit avec une telle question.

Juste après s’être engagé avec l’Independiente del Valle en début d’année, Ricardo Dionisio avait livré ses vérités ici. Une façon de tourner la page et de s’ouvrir à un avenir qui s’annonçait radieux. Du travail plus qu’il n’en faut, la passion des Sud-Américains pour le football et un succès sportif inimaginable. Le rêve a pris vie.

Il s’est conclu dimanche dernier en territoire ennemi, dans le gaz lacrymogène et face à des hordes de supporters en colère. «À cause des restrictions, seulement 10’000 personnes étaient censées pouvoir assister au match retour de la finale, à Guayaquil. Sauf qu’en Amérique du Sud, on ne prive pas comme ça le peuple d’un match aussi important. Les gens ont trouvé le moyen d’entrer. Le stade était plein, plus de 30’000 spectateurs, qui espéraient voir leur équipe remonter après avoir perdu le match aller», lâche Ricardo Dionisio.

L’histoire de cette finale est folle. Le bras droit de l’entraîneur en chef Renato Paiva se fait un plaisir de replonger dans ces émotions. «À l’aller, on a joué l’intox dans les médias. On a tendance à considérer, parfois, que les entraîneurs espagnols ne sont pas les plus ouverts d’esprit. Ils s’en tiennent à leur plan plutôt que de s’adapter à l’adversaire. Et justement, Emelec, notre rival en finale, est dirigé par un coach espagnol. On a essayé de rentrer dans sa tête en déclarant partout qu’il allait venir jouer chez nous avec sa défense à quatre habituelle. Il a fini par changer: jouer à trois derrière sans vraiment avoir testé le système plus tôt dans la saison. On a gagné 3-1.»

Tout là-haut à Sangolqui, à 2500m d’altitude. Tandis qu’Emelec est basé à Guayaquil, ville qui dépasse à peine le niveau de la mer. C’est là que les choses croustillantes commencent vraiment. «Chez nous, la météo est réglée comme une horloge suisse: il commence à pleuvoir tous les après-midi entre 14h et 15h. L’eau, on connaît. Par contre, il n’y a quasi jamais d’averses à Guayaquil.» Jusqu’au jour de la finale. Un déluge.

Les «Tueurs de géants» ont honoré leur surnom

Certains articles de la presse équatorienne font d’ailleurs état d’un match retour qui n’aurait jamais dû se jouer dans ces conditions, et notamment de déclarations irrecevables de la part de la Ligue concernant le maintien de la partie. D’après les statistiques, seulement 230 passes par équipe ont été complétées. «Ce qui est sûr, c’est qu’on a joué dans notre élément. On a marqué avant la 10e minute. Tout le monde s’est senti transcendé à partir de là. On ne pouvait plus perdre cette finale.» Qui s’est autant joué sur le terrain qu’en dehors.

L’immense trophée de la Liga équatorienne.

L’immense trophée de la Liga équatorienne.

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L’Independiente a fait le choix d’arriver le matin même sur place. «On savait ce qui pouvait arriver si on essayait de passer la nuit là-bas… Et puis, c’était aussi une question de maintenir le stress le plus loin possible de nos joueurs.» Emelec a également abattu sa carte. «Les arbitres VAR devaient être Équatoriens. Notre adversaire n’a jamais accepté que ça puisse être le cas. Parce que la VAR en Équateur n’est pas souvent activée et ne fonctionne pas très bien. Ils craignaient de mauvaises décisions. Ils ont eu gain de cause et ce sont des Mexicains qui ont pris le poste.»

Rien n’a changé. La suprématie des «Tueurs de géants», de leur surnom, était claire. «Avec six millions de dollars, on possède à peine la moitié du budget des grosses équipes du championnat. Mais au final, on n’a jamais perdu contre les trois cadors du pays cette saison. On a été dignes de notre surnom.» En dénouement, des larmes. À cause du gaz lacrymogène qui a pris pour cible le clan des vainqueurs. Surtout à cause de bonheur et du poids de l’histoire. Jamais l’Independiente del Valle n’avait conquis le titre depuis sa création. «À ce moment, beaucoup d’événements de l’année écoulée sont remontés.»

«Quatre joueurs avec qui on vient de devenir champions sont arrivés dans une académie à 10 ans. Ils ne connaissent que le foot. On ne peut pas se rendre compte de l’accomplissement que ce titre représente pour eux.»

Ricardo Dionisio

D’abord, les raisons de ce succès. Les victoires de prestige qui ont ouvert au club les portes de la Copa Libertadores et de ses millions. La vente de trois joueurs prometteurs pour une jolie somme également. Tout ça au premier tour. «Ça nous a donné beaucoup de marge de manœuvre entre les deux tours. On a su pointer nos carences du doigt, nous renforcer intelligemment.» Et finir de bâtir un effectif qui n’a perdu qu’un match depuis.

Et puis, plus fort que les autres, le souvenir de ce jour où plusieurs cars sont arrivés à l’académie de l’Independiente. Un premier enfant est sorti, des dizaines ont suivi. «Ce sont les jeunes qui ont été sélectionnés pour nous rejoindre, détaille Ricardo Dionisio. Ils ont 12, 10, parfois 8 ans et ils quittent tout: leur famille, leur maison, leurs amis pour tenter de réussir dans le football. Ils vont passer leur jeunesse ici en poursuivant le rêve d’être un jour professionnel et de pouvoir faire la fierté de leur famille et de leur ramener un peu d’argent. Dans l’équipe qui est devenue championne dimanche, quatre de nos joueurs ont vécu ça. On ne peut pas se rendre compte de l’accomplissement que ça représente pour eux.»

Le succès fait naître l’intérêt

Ce n’est pas pour rien que l’académie du club est dotée de psychologues. «Lorsque j’arrive à 7h30, ils sont déjà tous debout. Chaque joueur, du plus jeune au plus vieux, est suivi d’une façon qu’on n’imagine pas en Suisse. À 8h, ils ont la pesée. Ensuite ils se douchent, ils mangent, participent à une séance vidéo, partent s’entraîner, reviennent manger. L’après-midi, ils sont toujours sollicités. Mais ça reste une expérience parfois difficile pour eux. Ce n’est pas forcément dans mon cahier des charges, mais ces jeunes me touchent, j’adore passer du temps avec. L’un de mes rêves, c’est de partir en voyage humanitaire. Le football ne m’en a pas encore laissé le temps. Mais cette année y a parfois un peu ressemblé.»

Au-delà du social, son job, c’était d’apporter ses connaissances et ses qualités à un staff qu’il avait déjà connu à Benfica. En tant qu’homme de l’ombre, donc. «Je n’ai jamais fait de fixation sur le fait d’être numéro 1. Être épanoui dans un projet, heureux dans mon travail, c’est tout ce qui compte.» Le bonheur appelle le succès, qui appelle à son tour l’intérêt. «Lorsque je suis arrivé, le projet était déjà sur des rails. J’ai donné tout ce que j’avais à offrir, mais ma part de mérite est relative. Reste que ce qu’on a réussi n’est pas passé inaperçu.» De quoi mettre un terme à son rêve équatorien? «Il faudra bien prendre en compte toutes les possibilités qui se trouvent sur la table. Mais… je crois qu’on va rester.»

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