Tour de FranceCes extraterrestres qui dérangent
Sont-ils dopés? Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar suscitent biens des questions sur ce Tour de France, que ce soit dans le peloton ou dans la caravane.
Qui a dit que demain était un autre jour? Comme c’est le cas à chaque édition ou presque, on ressort la même rengaine. Dès qu’un coureur émerge du peloton, qu’il sort trop du rang et qu’il est nettement plus fort que les autres, on se pose forcément des questions. Celles qui interpellent, qui dérangent, qui fâchent. C’était (surtout) le cas lors de la période de Lance Armstrong entre 1999 et 2005, mais aussi lorsque Christopher Froome écrasait tout son monde entre 2013 et 2017.
Tournez manège! C’est désormais au tour de Tadej Pogacar et de Jonas Vingegaard, surtout, qui roulent sur cette édition comme des avions, de susciter bien des interrogations, avec de lourds sous-entendus. Surtout après la performance stupéfiante du Danois ce mardi dans le contre-la-montre entre Passy et Combloux (22,4 km), où il a écrasé toute la concurrence, à commencer par son principal contradicteur slovène. Les dix secondes d’écart ont pris la poudre d’escampette.
2e de Paris-Nice, David Gaudu - 9e du général à 17’38” du Viking alors qu’il visait une place sur le podium au départ de Bilbao – avoue son impuissance. «Je ne pense pas que j’aurais pu faire plus parce que je pense que je suis à 100%. Par rapport à Paris-Nice, je pense que ça va au moins trois fois plus vite, donc je ne peux rien faire d’autre physiquement. Je donne tout. Je serre les dents, mais si les autres sont plus forts, je n’y peux rien, le rythme des autres est trop pour nous», avait-il confié lundi.
Ce à quoi Yoann Offredo, ancien coureur et consultant sur France Télévisions, avait répliqué sur le plateau d’après-Tour: «Quand Gaudu dit qu’il est à 100% et que les autres sont plus forts, on entend ce qu’on entend, on comprend ce qu’on veut comprendre. Il est à 100%, il dépasse ses records de puissance et il est loin», a-t-il ainsi expliqué, avec un sourire plus explicite qu’une longue diatribe.
«Si vous vous posez des questions sur ces deux là, moi aussi rétorque Daniel Atienza, aujourd’hui consultant sur la RTS. Mais comment est-ce aussi possible que pendant dix ans, trois joueurs de tennis ont gagné plus de soixante tournois du Grand Chelem à eux trois? Parce que les autres sont des manches? Font-ils un autre sport?» C’était avant la démonstration hallucinante de Jonas Vingegaard dans l’exercice solitaire. «Comme Alcaraz et Djokovic, dans le vélo aussi il y a des champions d’exception», insiste-t-il. Il serait prêt à mettre sa main au feu.
Interrogé sur ce fléau qu’est le dopage, Jonas Vingegaard a assuré ce dimanche qu’il ne prenait «rien», tout en estimant «bien» de se montrer sceptique face aux performances des meilleurs dans le Tour de France. Et qu’il était surpris ce mardi d’avoir autant de marge. Évidemment. «Alors oui, c’est vrai que nous allons vite, plus vite même que les anciens vainqueurs convaincus de dopage mais le matériel, la nutrition, l’entraînement, tout a changé et cela explique que les performances s’améliorent. Mais c’est bien d’être sceptique», a-t-il encore déclaré, alors qu’il a encore mis du piment sur sa selle lors de ce chrono de 22 km «à une vitesse supersonique» en reléguant son dauphin à plus d’une minute. 1’38’’ d’avance. Avec une vitesse moyenne de 41,2 km/h (le seul à passer la barre des 40 km/h), cet homme venu de l’espace a grappillé 4,37 secondes à chaque kilomètre. De quoi vraiment rester bouche bée…
Toutes ces allégations font sourire Antoine Vayer, enseignant, entraîneur, auteur et chroniqueur sur Twitter. L’homme refuse le mensonge. «Si cette année on n’a pas compris, on ne comprendra jamais, lâche d’emblée le Français au bout du fil. On dit tout le temps qu’on est à un point de basculement par rapport au Tour du renouveau. Or si certains jouent bien le jeu, il faut toujours qu’il y ait un mec, voire deux, qui viennent gâcher la fête.» Cet amoureux de vélo, qui a vécu le scandale du dopage en 1998 avec Festina, a toujours voulu croire à des jours meilleurs après les années Armstrong, que «ça allait dans le bon sens», avant de retomber chaque fois de haut. Comme ce mardi…
«Le patron du Tour dit que c’est 3700 km de sourire, mais c’est la fête à Neuneu, non? Au bord des routes, les gens se moquent des vainqueurs. Pour tous ces gens, vous imaginez le succès que ce serait vraiment s’il n’y avait pas ces deux gars-là devant? Beaucoup de gens qui me suivent sur Twitter partagent mon avis et aimeraient aussi que cela se passe différemment. Moi aussi je voudrais écrire de manière poétique sur des bons types comme votre Simon Pellaud. Ou Stefan Küng, qui était stupéfait en 2020 après le chrono de Laval avalé par Pogacar. Comment était-ce possible? Comme vous le savez, j’adore calculer les watts de puissance compensée et j’espérais ne plus revoir les résultats de Marco Pantani. On pensait que depuis 1998 on maîtrisait le dopage, mais ce n’est pas fini et c’est l’horreur.»
À 60 ans, Antoine Vayer aimerait aujourd’hui que les jeunes, ceux qui découvrent ce sport, ouvrent les yeux. «Si je devais résumer mon sentiment, je dirais qu’avant, on avait un cancer, celui d’Armstrong, et qu’on pensait être en rémission. Mais que malheureusement, malgré les contrôles, il y a cette année deux tumeurs dans le peloton qu’il faut éliminer.» Demain est un autre jour, dit-on. Comme lui, on aimerait tellement y croire…
Les deux extraterrestres poursuivront leur voyage sur leur soucoupe ce mercredi entre Saint-Gervais Mont-Blanc et Courchevel, avec le terrible col de la Loze au final (28,1 km à 6%).