BasketballLe cri de désespoir de Roberto Kovac ne doit pas rester sans lendemain
Capitaine de l’équipe de Suisse, Roberto Kovac ne regrette pas sa sortie médiatique épicée. À la fédération, Giancarlo Sergi et Erik Lehmann veulent comprendre. Une réunion est prévue lundi.
- par
- Jérémy Santallo
Son sélectionneur, Ilias Papatheodorou, n’est pas venu à la rencontre des médias. Il avait un avion à prendre et s’est éclipsé en destination de Zurich. Roberto Kovac, lui, avait été réclamé sur l’estrade. Parce qu’il est un joueur et une voix qui comptent pour l’équipe de Suisse, décimée par les blessures et les absences, dont il est le capitaine. Mais au sortir d’une nouvelle désillusion face au Danemark, et après le camouflet subi en milieu de semaine au Kosovo, le Tessinois n’avait aucune envie de venir faire semblant face aux journalistes. Alors il a d’abord refusé. Avant d’y voir une jolie opportunité de dire tout haut ce que beaucoup murmurent souvent tout bas. «Je vous préviens. Je vais tout déballer», aurait-il lancé.
Quelques minutes plus tard, attablé, l’arrière du Fribourg Olympic n’y est pas allé avec le dos de la cuillère: il a notamment évoqué sa «honte de perdre contre des nations de merde», le «manque de respect pour le maillot» et le leadership défaillant, selon lui, de ses dirigeants («C’est quoi la ligne, le projet? Où sont les joueurs?»). Ses yeux se sont embués de larmes lorsque celui qui animait le rendez-vous avec les journalistes lui a demandé la direction que prenait le basket helvétique. «Il faut poser ces questions aux personnes concernées, a-t-il répliqué. Vous pouvez demander à (Giancarlo) Sergi. Ah non, pardon, il voulait aller au Ballet.»
Le président de Swiss Basketball est le directeur général du Béjart Ballet Lausanne depuis l’été dernier. Moins actif au niveau opérationnel à la fédération avec ses nouvelles fonctions, Sergi reste tout de même assez présent en coulisses, selon certaines sources. Après la sortie médiatique historique de Kovac, il a passé son dimanche pendu au téléphone. «Je ne sais pas du tout ce qu’il lui a pris, nous a-t-il confié. Je comprends la frustration de Roberto et sur le fond, dans ce qu’il a dit, il y a matière à discuter. Mais sur la forme, pardon, mais il n’a pas été bon. Tu ne peux pas diaboliser comme ça un mouvement de 25’000 personnes. Les émotions, cela se gère.»
Contacté dimanche midi, Erik Lehmann voulait lui y voir une «grosse maladresse». «Je crois que Roberto ne pensait pas un mot de ce qu’il a dit, a répondu le secrétaire général à la «fédé» et bras droit de Sergi. Il sortait d’un match très difficile sur le plan personnel (ndlr: le joueur l’a reconnu) et a parlé sous le coup de la frustration. Tout ce que je peux vous dire, c’est que l’on va s’entretenir avec lui. Ce n’est pas possible de faire une sortie contre-productive de la sorte en plein milieu d’une fenêtre internationale (ndlr: la Suisse a encore un match samedi à Fribourg et le 2 août). Cela déstabilise tout le monde. Et comment peut-on dire que les autres nations, c’est de la merde?»
En repos dimanche, à Fribourg, Kovac assume chaque mot qu’il a prononcé pendant ces minutes surréalistes. «Je me suis un peu calmé depuis hier (ndlr: samedi). Mais je pense tout ce que j’ai dit, nous a-t-il affirmé, après avoir reçu entre 70 et 80 messages de soutien du milieu de la sphère orange. Des présidents, des managers d’équipe, des anciens entraîneurs et même des joueurs m’ont écrit. Tout le monde m’a dit que j’avais eu raison de parler comme ça. C’est comme si quatorze années de frustration et d’impuissance étaient ressorties d’un coup.»
Dans son courroux, samedi, Kovac a sous-entendu que ses dirigeants lui avaient fait miroiter une équipe avec certains de ses meilleurs éléments cet été. «Je n’avais pas envie de venir mais on nous a dit que Clint (Capela) et Anthony (Polite) seraient en Grèce, pour le stage de préparation. Ils mentent aux coaches et aux joueurs», a-t-il envoyé. «Anthony est blessé et un IRM est là pour le prouver, se défend Lehmann. Pour Clint, il a été fortement question qu’il vienne. Je n’ai jamais fait de promesse définitive, j’ai toujours dit qu’on allait faire en sorte qu’il soit là. Son choix, il l’a annoncé lui-même à Meyrin lorsque la sélection était déjà rentrée de Grèce.»
Le mal est fait et pas qu’un peu. Ce lundi, Kovac doit s’entretenir avec Sergi et Lehmann, notamment. «J’ai peut-être disputé mon dernier match sous le drapeau», disait-il il y a quarante-huit heures, en colère. Sera-t-il mis à l’amende, suspendu, voire écarté de manière définitive? «Je veux lui parler d’homme à homme. Le but, ce n’est de ne pas le sanctionner», annonce Sergi. «On veut surtout comprendre», renchérit Lehmann. Faut-il y voir enfin le début d’un dialogue plus profond entre les dirigeants, les meilleurs joueurs du pays, avec les clubs aussi? «Oui, il faut provoquer cette réunion avec toutes les parties. Le processus est en cours», poursuit Sergi.
L’état d’urgence est déclaré. Parce que ce week-end, le basket suisse a touché le fond. Il doit y avoir un avant et un après le coup de sang de Roberto Kovac. «Je veux juste de l’honnêteté», réclame-t-il. Puisse-t-il être entendu.