Gynécologue jugé à Nyon (VD): «Mes filles ne pourront plus jamais dire: Je t’aime, Maman»

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Gynécologue jugé à Nyon (VD)«Mes filles ne pourront plus jamais dire: Je t’aime, Maman»

Le mari de Marie*, sa mère et son frère ont raconté leur calvaire depuis son décès survenu à la suite d’une pyélonéphrite, qui n’a pas été diagnostiquée à temps.

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri
Le Tribunal d’arrondissement de La Côte juge depuis lundi un gynécologue vaudois pour homicide par négligence après le décès d’une patiente en été 2017.

Le Tribunal d’arrondissement de La Côte juge depuis lundi un gynécologue vaudois pour homicide par négligence après le décès d’une patiente en été 2017.

lematin.ch/Sébastien Anex

Au second jour du procès, la famille de Marie*, 31 ans, a confié au Tribunal de police sa souffrance qui ne s’en va pas depuis six ans. Depuis le 23 juillet 2017, lorsque son époux la découvre morte au salon, emportée par une pyélonéphrite aiguë à subaiguë du rein gauche qui a entraîné le choc septique. La maman a accouché trois semaines plus tôt de sa troisième petite fille par césarienne. Des complications ont nécessité d’appeler le médecin-chef de garde pour réparer des déchirures au niveau de l’utérus, du vagin, de la vessie et de l’abdomen. C’est ce gynécologue vaudois qui répond d’homicide par négligence. L’accusation lui reproche une prise en charge douteuse de la patiente. Et très précisément de ne pas avoir fait appel à un urologue en bonne et due forme. Ce qui l’aurait sauvée à dire d’experts.

«Il fallait un urologue durant l’opération»

Le mari de Marie

Lundi, l’obstétricien expérimenté de 53 ans a concédé à demi-mot un manquement sans admettre pour autant qu’il aurait bien pu commettre une erreur d’appréciation s’agissant de l’infection rénale. Infection qui s’est installée, vraisemblablement à la suite de son intervention opératoire, et qui a subitement flambé jusqu’au choc septique fatal. Ce mardi, le praticien a écouté les ressentis des plaignants durant de longues heures.

«Je me souviens qu’un jeune médecin m’a expliqué que la vessie avait été touchée et qu’il fallait un urologue durant l’opération. Juste après, ma femme a été traitée pour une inflammation aux reins», les premiers mots de l’époux ont une résonance toute particulière. Il ajoute: «Elle s’est plainte de douleurs dans le bas du dos dès le début, pendant son hospitalisation et après. Ça a duré, elle avait du mal à dormir. Sa récupération était lente, elle était affaiblie».

«Regards fuyants»

«Je voulais tellement la décharger pour qu’elle se rétablisse que je n’ai pas forcément toujours prêté attention à 100% aux symptômes à surveiller (ndlr. les selles, les urines, les changements de coloration). Le gynécologue lui avait dit de le contacter au moindre problème. La fièvre et les vomissements, c’était le jour même en fin de matinée.» Pour le papa des trois fillettes de 6, 10 et 13 ans), l’épreuve est difficile, il reprendra son souffle à plusieurs reprises. Il se souvient: «A l’hôpital, ça s’agitait beaucoup (ndlr. pendant l’intervention), les gens avaient le regard fuyant. J’ai ressenti un sentiment d’incompétence. Au réveil, Marie m’a dit qu’elle avait eu très peur de ne pas revenir». Comment a-t-il vécu ce décès? «Comment réagiriez-vous quand la personne qui compte le plus au monde, le pilier de la famille, n’est plus là?» réplique l’homme en souffrance.

«Elle a entendu le médecin dire «carnage»

La mère de Marie

«Ma vie a basculé à jamais. Moi, ce n’est pas le problème. Ce sont mes filles, elles ne pourront plus jamais dire: Je t’aime, Maman. Ou «Joyeux Anniversaire». Le couple était soudé, fusionnel. Leurs familles très proches en tout temps. «Je survis au jour le jour à travers elles. Elles sont ma force. Elles sont mon respirateur, moi qui souffre d’insuffisance respiratoire. J’essaie de garder la tête haute, confie-t-il en larmes, Je ne veux pas qu’elles portent ma souffrance et, au-delà, ma haine, mon désespoir, ma perte de confiance.»

Plus loin: «Elle était morte. J’ai appelé les secours (ndlr. il était env. 05h30). Je suis allé voir les filles dans leur chambre (les 2 aînées, le bébé est dans son berceau) pour qu’elles s’habillent et partent chez leur grand-maman maternelle qui vit à côté. Je leur ai couvert la tête pour sortir. Je ne voulais pas qu’elles voient leur mère allongée sur le canapé et qu’elles en gardent cette image. J’ai dû leur dire que Maman n’était plus là, qu’elle était partie, mais qu’elle vivait toujours en elles, dans leurs cœurs et partout ailleurs».

«Mauvaise mine»

Sur les joues de la mère de Marie, les sanglots rouleront au moment de prendre la parole. La tête souvent baissée, elle sourit en même temps à l’évocation de l’être aimé, désormais pleuré: «Depuis toute petite, c’était mon rayon de soleil, la chouchou. Son grand frère était très protecteur avec elle. Elle a rencontré son mari. Ils sont venus s’installer près de chez nous, je gardais les petites pendant qu’elle travaillait. Nous avons une grande maison, c’était un va-et-vient permanent».

Mère et fille ont un lien très fort et se voient en permanence. Et puis: «Notre beau-fils nous a appelés après l’accouchement. J’ai eu un choc en la voyant, elle avait mauvaise mine. Elle m’a raconté ses douleurs si violentes dans le dos qui lui donnaient les larmes aux yeux. Qu’elle avait bien cru ne jamais se réveiller. Et encore avoir entendu avant d’être endormie un médecin – le prévenu – dire: «C’est un carnage». 

«Le temps s’est arrêté, il n’est pas revenu»

Le frère de Marie

«À son retour à la maison, elle avait toujours mal au dos, elle peinait à porter la petite. La sage-femme la rassurait. On pensait que ça allait passer avec le temps et que c’était peut-être plus compliqué après le troisième enfant. Après… le monde s’est écroulé. Elle était en bonne santé. Un lien s’est brisé, j’ai du mal à l’admettre. Il manque une présence, c’est très difficile», termine la mère de la défunte. Tous les proches dans la salle d’audience sont en pleurs, le papa s’effondre.

Reste le grand frère de la trentenaire trop tôt disparue, bouleversé, lui aussi: «Je veillais sur elle. On échangeait beaucoup, on partait en vacances ensemble même après les enfants. Ses enfants, c’était toute sa vie. C’était quelqu’un de positif, elle voyait toujours le bon côté des gens. Quand ma mère m’appelle le 23 juillet au matin, c’est un tremblement. Rien ne présageait ça. Je n’ai pas pu lui dire au revoir. Ça m’a anéanti. Le temps s’est arrêté, il n’est pas revenu.»

Le verdict est attendu lundi.

*Prénom d’emprunt 

Condamnation requise

Le procureur Christian Buffat considère que le praticien a failli au devoir de prudence le plus élémentaire en se passant de l’avis d’un urologue. Selon lui et les expertises en sa possession, c’est bien cette omission qui a provoqué le décès de la parturiente. D’une part, l’infection du rein gauche n’a pas été détectée par le gynécologue, alors que certaines alertes étaient au rouge après la césarienne de Marie, puis son intervention nécessitée par les complications que l’on sait. D’autre part, le médecin-chef n’a pas relancé le spécialiste des voies urinaires lors du suivi post-partum de la trentenaire. Ledit urologue avait pourtant été contacté téléphoniquement en pleine opération dans la nuit du 1er juillet 2017.

Le parquet requiert une peine de 30 jours-amende à 500 francs le jour, assortis du sursis durant deux ans, pour homicide par négligence.

Du côté de la défense, dans ce dossier ultratechnique et dramatique où des zones d’ombre perdureront à jamais, Me Odile Pelet a demandé sans surprise l’acquittement de l’obstétricien.

Le juge unique du Tribunal de Nyon, Aurélien Michel, dira lundi 4 septembre s’il suit le Ministère public vaudois dans son cheminement. Il rendra son verdict dans l’après-midi. Quelle que soit la décision du tribunal, les parties sont déjà prêtes à faire appel de chaque côté de la barre.

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