Qatar 2022L’attribution de la Coupe du monde au cœur d’investigations en France
Le vote de Michel Platini en faveur du Mondial de football 2022 au Qatar a-t-il été obtenu en échange de contreparties?
Déjeuner franco-qatari à l’Elysée
Le 23 novembre 2010, neuf jours avant le vote pour désigner le pays hôte de la Coupe du monde 2022, un déjeuner au siège de la présidence de la République française réunit Nicolas Sarkozy, Michel Platini, alors patron de l’UEFA, le prince héritier du Qatar Tamim ben Hamad al Thani – qui deviendra émir en 2013 – et Hamad ben Jassem al Thani, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères à l’époque. Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, et Sophie Dion, conseillère sports de Nicolas Sarkozy, figurent sur le plan de table mais contestent avoir participé au repas.
Les investigations
Après des révélations dans la presse, une enquête préliminaire est ouverte, puis une information judiciaire en décembre 2019 pour «corruption active et passive, recel et blanchiment». Les magistrats financiers et l’Office anticorruption (Oclciff) se demandent si «un marché donnant-donnant» a été conclu lors de ce déjeuner permettant au Qatar de remporter le Mondial 2022 en échange notamment d’investissements en France dont le rachat du club de football Paris Saint-Germain en grande difficulté financière, selon des documents consultés par l’AFP.
Michel Platini et Sophie Dion ont été entendus en garde à vue en juin 2019 tandis que Claude Guéant a été auditionné comme témoin. L’homme d’affaires Sébastien Bazin et Laurent Platini, le fils de l’ancien numéro dix, ont été entendus cette année, selon une source proche du dossier. Tous contestent les faits.
Les notes
Quel était l’objet de ce déjeuner? L’une des notes du cabinet de l’Elysée saisies lors de perquisitions révèle que Sophie Dion a abordé dès mars 2010 la candidature de l’émirat avec Sepp Blatter (patron de la Fifa de 1998 à 2015) «à l’écoute» et Michel Platini «plutôt réservé». Une note rédigée la veille du déjeuner pour Nicolas Sarkozy est intitulée: «La candidature du Qatar à la Coupe du Monde – Michel Platini, sa réélection au sein de l’UEFA et sa candidature à la tête de la Fifa».
Selon ce document, le déjeuner doit débuter par un tête-à-tête entre le chef de l’Etat et l’ancien footballeur, avant de rejoindre les Qataris. «Michel Platini devrait être réservé sur cette candidature lors de la première séquence. Naturellement devant vos hôtes sa position doit être plus favorable», écrit Mme Dion. Une note antérieure précise: «Michel Platini fait partie des 22 membres ayant le droit de vote. A cet égard, la délégation qatarie espère obtenir le soutien de la France et de Michel Platini».
«Le président ne m’a jamais demandé de voter pour qui que ce soit, mais j’ai cru comprendre (lors du déjeuner) qu’il soutenait le Qatar», relate Michel Platini devant les enquêteurs, affirmant qu’il ignorait que les Qataris étaient aussi conviés. «Moi j’ai dit que j’allais voter pour le Qatar et la Russie. Après Nicolas Sarkozy a pu profiter de mon vote pour faire le barbot (ndlr, se faire valoir) auprès de qui il voulait», ajoute-t-il.
Le vote de Platini
L’ancien capitaine des Bleus dit avoir sollicité cette entrevue pour informer le président qu’il voterait pour la Russie en 2018 et le Qatar en 2022. Deux pays «qui n’avaient jamais eu la Coupe du Monde et il était important pour le développement du football d’aller un peu partout dans le monde», argumente-t-il. Or, Michel Platini n’a pas toujours soutenu la candidature de l’émirat qu’il jugeait «loufoque» et il avait même assuré les Etats-Unis de son soutien, rappelle dans une audition son ancien conseiller à l’UEFA, William Gaillard.
En outre, Sepp Blatter, entendu en novembre 2021, affirme que Michel Platini lui a annoncé après le déjeuner: «Sepp, on a un problème. (...) Vous ne pouvez plus compter sur moi et mes voix pour les Etats-Unis». Un consensus avait été trouvé par la Fifa pour désigner la Russie pour la Coupe du Monde 2018 et les Etats-Unis pour l’édition suivante. Ce que conteste l’ancien patron de l’UEFA.
La vente du PSG
Quelques mois après ce déjeuner, le PSG, propriété du fonds américain Colony Capital est vendu 76 millions d’euros au fonds souverain Qatar Sports Investments (QSI). Représentant de Colony Capital en France et proche de Nicolas Sarkozy, Sébastien Bazin envoie des textos qui intriguent les enquêteurs.
Le 23 novembre 2010, il informe une connaissance: «NS vient de m’appeler, il déjeune aujourd’hui avec son excellence Tamim à l’Elysée... lui ai donné les messages clés». Puis le lendemain: «NS m’a rappelé, son excellence a confirmé que le deal se ferait après le 2 décembre», le jour du vote.
L’emploi de Laurent Platini
Une perquisition à Colony Capital en juin 2019 permet la saisie d’une note manuscrite datée du 28 avril 2011 évoquant la répartition du capital («70/30?») suivie de la mention «Laurent Platini back OK (salary EUR150 000 check!)». Ce jour-là, Sébastien Bazin finalise la vente du club avec Nasser Al-Khelaïfi, représentant de QSI et futur président du PSG.
En décembre 2011, Laurent Platini devient directeur général provisoire de l’équipementier Burrda Sport, filiale du fonds QSI. Cette embauche «n’a aucun lien» avec l’acquisition du PSG et «n’a jamais été abordée durant les négociations pour la cession du club», affirme M. Bazin, devenu PDG du groupe Accor, selon Complément d’enquête. Devant les enquêteurs, Michel Platini assure que son fils «n’a pas besoin de (lui) pour obtenir ces différents postes».
Contrat d’armement ?
Sur la note préparatoire du déjeuner, une partie concerne les «autres sujets bilatéraux» à aborder «en cas d’aparté», avec les mentions «avions de combat» et «défense anti-missile globale». Par ailleurs, le lendemain, Claude Guéant rencontre Ghanim Bin Saad al Saad, directeur du fonds souverain qatari Diar. C’est le conseiller armement qui rédige une note pour préparer cette entrevue. Il n’y a «aucun lien» entre le déjeuner et ce rendez-vous, répond aux enquêteurs M. Guéant. Le groupe Dassault a vendu, en 2015 sous la présidence de François Hollande, 24 Rafale à l’émirat gazier, qui en a commandé 37 au total. Montant du contrat: 6,3 milliards d’euros.
Autres contreparties
Les enquêteurs s’interrogent également sur d’autres contreparties possibles. A l’automne 2021, le média Blast publie des documents faisant référence à des sommes versées à Nicolas Sarkozy, son épouse Carla Bruni, Michel et Laurent Platini, Claude Guéant et Sepp Blatter pour un montant total de 19 millions d’euros par les autorités qataries via des fonds souverains en récompense de leur soutien.