CommentaireRapport GIEC: en Suisse, le pétrole reste une vache sacrée
Le nouveau rapport apocalyptique du GIEC fait écho à la votation en Suisse contre la loi sur le CO₂. Il y a du chemin à faire dans un pays qui s’est braqué contre l’augmentation du prix à la pompe.
- par
- Eric Felley
La semaine dernière, les mouvements suisses en faveur climat ont manifesté à Zurich devant les grandes banques de la Paradeplatz, puis devant la Banque nationale. Leur message était clair: elles doivent arrêter d’investir dans les énergies fossiles, qui produisent des gaz à effets de serre en abondance. La réponse: à Zurich la police est intervenue pour dégager, arrêter et ficher 83 manifestants. À Berne, certains spécialistes ont déclaré que ce n’était pas dans le cahier des charges de la BNS de sauver la planète mais de s’occuper de la bonne santé du franc suisse.
Le rapport du GIEC de ce lundi donne raison aux militants du climat. Il promet des lendemains effrayants, à l’image des incendies qui ravagent certains endroits de la planète qui nous sont familiers, en Californie ou en Grèce. Le rythme du réchauffement s’accélère. D’ici à 2030, l’atmosphère aura subi une poussée de fièvre irrémédiable de 1,5 degré, en avance sur les prévisions. Si rien n’est fait, cela pourrait doubler encore d’ici à 2050. Le GIEC joue les Cassandre comme dans la mythologie grecque. Sera-t-il davantage entendu que celle qui prédisait la chute de Troie?
Abandonner l’essence? «Une énorme erreur»
Le ton quasi-apocalyptique de ce rapport saura-t-il aussi convaincre UBS, Credit Suisse ou la BNS de nettoyer leurs portefeuilles des énergies fossiles? Pas tout de suite, car leur rentabilité se mesure ici et maintenant, et non pas en 2050. Avec la votation sur le CO₂, on a vu que le seul argument de l’augmentation du prix à la pompe a fait braquer le monde rural contre un changement de politique énergétique. Pour le lobby du pétrole, qui a fortement combattu cette loi, le moteur à essence demeure une source de revenus pérenne. La conseillère nationale Magdalena Martullo-Blocher (UDC/GR) l’a redit récemment, en qualifiant «d’énorme erreur» le projet de l’Union européenne d’abandonner les voitures avec des moteurs à combustion.
C’est déjà trop tard
Le GIEC dit qu’il faudrait commencer tout de suite à se passer des énergies fossiles pour avoir des effets bénéfiques après quelques années déjà. Le monde scientifique appelle à tirer sur le frein d’urgence, mais en Suisse (et ailleurs aussi) le pétrole, l’essence ou le mazout demeurent des vaches sacrées, dont on ne se débarrassera pas d’un coup de baguette magique. Il suffit d’observer l’évolution du parc automobile, avec des SUV toujours plus lourds, pour constater le grand écart qu’il y a entre un rapport scientifique, qui demande un effort collectif, et un marché libéral qui a créé une demande foncièrement individuelle. Nous sommes partis dans la mauvaise direction et il reste à trouver un consensus pour corriger le tir. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.