InterviewPatrick Sébastien: «Je suis passé des parts de marché aux parts de plaisir»
L’ex-présentateur sera à l’Arena de Genève le 31 décembre avec son «Plus Grand Cabaret du monde». Rencontre en coulisses, à Lyon.
- par
- Fabio Dell'Anna
À la Halle Tony Garnier, à Lyon, sa loge sent la fumée, il rigole fort et s’installe dans un fauteuil les pieds posés sur une table basse pour répondre à nos questions. À 68 ans, Patrick Sébastien est le boss, le maître loyal d’une troupe qu’il déplace de ville en ville pour sa tournée du «Plus grand cabaret du monde» et qui s’arrêtera à l’Arena de Genève le 31 décembre prochain.
Les mauvaises langues qui pensaient le voir disparaître suite à son licenciement de France Télévisions il y a deux ans avaient tort. Le phœnix du petit écran n’a cessé de multiplier les projets: un 19e et un 20e albums, une pièce de théâtre, un recueil de mots croisés et un spectacle digne d’un cirque. S’il affirme ne jamais avoir été aussi heureux, l’ex-animateur garde tout de même un peu d’amertume de ses dernières années sur France 2. Lematin.ch a passé presque une heure avec Patrick Sébastien à discuter d’acrobaties, de télévision, de clopes et de politique. Beaucoup de politique. Même s’il jure qu’il n’en fera jamais.
C’est parce que «Le plus grand cabaret du monde» vous manquait tellement que vous avez décidé de partir sur les routes le présenter au public?
On m’avait fait cette proposition y a longtemps. Je ne voulais pas partir en tournée, tant que l’émission passait à la télévision. C’est une entreprise de fous: nous sommes 100 sur la route, il y a une cinquantaine d’artistes sur scène, sept semi-remorques, 4000 nuitées… c’est une énorme organisation et c’est un bonheur absolu. Tous les soirs, les gens sont émerveillés, car c’est «Le plus grand cabaret du monde» en mieux. Il y a les frissons, la proximité et l’ambiance. On y retrouve des magiciens, des clowns, des acrobates ou encore des danseurs colombiens que vous avez peut-être déjà vus aux côtés de Jennifer Lopez.
Et vous serez à l’Arena de Genève le 31 décembre.
Oui! Nous finirons à Genève le 31 décembre. En espérant pérenniser la marque. L’idée est de revenir chaque année avec un spectacle différent. Je n’ai jamais été aussi content. Il n’y a pas photo avec la télévision. Avant c’étaient des parts de marché, maintenant ce sont des parts de plaisir. Et surtout, nous sommes libres. Sur France 2, les derniers temps, c’était infaisable. Cela se résumait à des mecs dans les bureaux qui refusaient tout et qui avaient un mépris total pour les artistes.
La télévision ne vous fait plus envie?
Cela a toujours été une parenthèse dans ma vie et c’est le milieu dans lequel je retrouve le moins les valeurs que j’aime. Je fais plein d’autres choses qui me passionnent, comme du théâtre (ndlr: il tourne avec la pièce «Louis XVI.fr»), des spectacles avec mes musiciens, la tournée actuelle.
En ce moment, C8 rediffuse vos anciennes émissions. Il n’y a vraiment aucune nostalgie de votre côté?
Ils m’en ont commandé seize de plus car ça marche bien. Mais refaire de la télé en tant qu’animateur, c’est fini. Plus jamais. J’ai eu ma dose. Cela fait 30 ans. J’ai le record d’audience et je ne vois pas comment je peux faire mieux. Nous avons fait 22 ans du «Plus grand cabaret du monde». J’aurais aimé que ça dure un petit peu plus. Ils m’ont quand même viré comme un chien. Ils ne m’ont pas parlé ou envoyé un mot. Ils ont convoqué ma femme en disant: «Vous lui direz que…» Je n’ai jamais vu des gens aussi abjects. Je n’ai aucune rancune. Mais on aurait pu faire un an ou deux de plus. Quand je vois le résultat de mon show sur scène, je me dis: «Putain, j’aurais dû partir avant.» C’est trop de bonheur. Il s’agit d’une vraie communion avec les gens. Il y a une ambiance des cirques en tournée et pas une embrouille. Il n’y a pas de problèmes d’ego. Juste des mecs qui transpirent et des techniciens qui font un boulot de fous.
Vous sembliez pourtant heureux d’être de retour à la télévision il y a quelques semaines aux côtés de Cyril Hanouna.
En tant qu’invité j’adore ça. Et s’ils me proposent une émission spéciale pour fêter mes 50 ans de carrière, je la fais. Mais avec quelqu’un d’autre qui présente.
Donc si Cyril Hanouna vous propose de produire une émission ensemble, vous refusez?
Ce serait juste pour une soirée. Pas plus. À mon âge, j’ai envie de m’amuser. J’ai tout fait. Ils m’en ont mis plein la gueule à cause de mes chansons, mais elles sont partout. Dans toutes les fêtes. Je fais un album tous les ans, le dernier s’intitule «Le président de la fête». Je me régale. J’ai enregistré cela dans un petit coin de l’Hérault (F). Il y a un restaurant, le studio à côté et nous étions entre potes. C’est un vrai bonheur d’artiste. Cela m’a toujours emmerdé d’être classé dans la catégorie des animateurs avec Michel Drucker ou autres. J’ai accepté de faire ça, car je voulais créer. Aujourd’hui, cela me manque de ne plus découvrir des talents tels que Jean Dujardin ou Jeff Panacloc grâce à mes émissions. Mais ils auraient été connus sans ce tremplin.
Quelle personnalité êtes-vous particulièrement fier d’avoir mis en lumière ?
C’est difficile. (Il réfléchit longuement.) Celui que j’admire le plus est Albert Dupontel. J’ai une passion pour ce mec. Surtout quand on voit comme notre histoire a démarré. J’ai regardé une vieille cassette pourrie où il jouait dans un théâtre minable. On n’entendait rien. Je me dis: «Putain, ce mec a quelque chose.» Je l’ai appelé et il était à la rue. Il me disait qu’il bouffait du dentifrice sur du pain, car ça coupe la faim. Je lui ai demandé s’il voulait participer à mon émission, il hésitait. Les paillettes ce n’était pas trop son truc. Je me rappelle, au début que je le produisais, il n’y avait que 20 personnes devant lui. S’il passait par là c’était pour faire du cinoche. (Il s’arrête longuement.) J’y croyais à ces mômes que je représentais. Et quand, un soir, j’ai allumé la télévision et j’ai vu Jean Dujardin recevoir l’Oscar du meilleur acteur, je me suis demandé dans quel monde on vivait. (Les yeux humides, il continue.) Ils ont tous été reconnaissants. Je n’ai rien fait, ils ont travaillé dur. Et surtout j’étais un producteur qui les laissait faire ce qu’ils voulaient.
Tout le monde se rappelle aussi de Shirley & Dino. Pourquoi ne pas les avoir pris dans votre tournée actuelle?
Ce n’est pas possible. Ils ne font plus de numéros. Ils ont tout rangé, ils en avaient un peu marre du costume. Mais pourquoi pas? S’ils veulent revenir, je les prends avec plaisir. Je ne dirais pas non plus non à Panacloc, s’il voulait revenir chaque soir.
Dans votre spectacle, vous aussi vous faites rire les gens en vous moquant un peu d’Eric Zemmour et du professeur Raoult…
Je fais mon rôle de chansonnier. Sur scène, je ne peux pas seulement dire bonjour, il faut aussi dire quelques conneries. (Rires.) Je fais ça le temps que les techniciens installent le prochain numéro. Je dis par exemple que chez nous il faut un pass sanitaire pour tout, sauf pour les meetings politiques. C’est surprenant et incompréhensible non?
Cela vous étonne de voir Eric Zemmour si haut dans les sondages en vue de l’élection présidentielle?
Non, car la réaction vient de l’action. Nous sommes trop laxistes en France. Je suis un humaniste et je serai toujours du côté des victimes. Le problème de la France n’est pas l’immigration. C’est la délinquance et le manque de punition. Je pense qu’il faut être plus dur avec les gens. Et je connais plein de Marocains, Portugais ou Algériens qui sont rentrés dans ce pays et qui l’aiment. J’ai eu un gros entretien avec Jamel Debbouze récemment et qui me disait: «Quand je suis dans ma maison je suis Marocain, quand je sors je suis Français. Je remercierai toujours la France de m’avoir donné de quoi bouffer, m’instruire et rembourser mes soins.» En revanche, ceux qui viennent pour massacrer notre territoire, cassez-vous. C’est là que Zemmour n’a pas tort. Mais vouloir mettre tous les étrangers dehors, ce n’est pas possible.
Est-ce qu’il y a un candidat que vous appréciez?
Il y a Xavier Bertrand que j’aime bien. Il me faudrait un mec de droite, mais qui a un peu plus d’humanisme. Honnêtement, je ne vois pas comment on pourra empêcher Emmanuel Macron de gagner ce second mandat. Il assure, même s’il fait quelques conneries. Mais cela ne change rien faut au fait que je ne vais pas voter. Je pense que le grand vainqueur de cette élection sera l’abstention. Encore une fois. D’ailleurs, si vous ne savez pour qui voter, mettez mon nom dans l’urne. Vous aurez au moins la sensation de voter pour vous et ce sera un clin d’œil plutôt fun.
Pourquoi ne feriez-vous pas de la politique?
J’échange avec Emmanuel Macron et Xavier Bertrand. Je leur donne mon avis. J’ai toujours fait de la politique de cette manière. Je le faisais beaucoup aussi avec Chirac et Hollande. Je remontais aux dirigeants ce qu’ils n’entendaient pas d’en bas. Puis, je regarde ce spectacle qui est plutôt affligeant. Eric Zemmour est hyperbrillant. Il dit des vérités. Il fait surtout une très belle affaire commerciale. Il se gave avec son bouquin. Il n’y a jamais eu un écrivain qui a eu autant de promo. Moi, je n’ai pas envie de me mêler de ça, car je n’ai pas les solutions aux problèmes. Ma seule mission est très simple: faire oublier aux gens leurs problèmes du quotidien. On devrait laisser plus de place aux saltimbanques. J’en suis un vrai et je le revendique. D’ailleurs mon prochain bouquin va s’appeler «Le crépuscule des saltimbanques».
Vous l’avez déjà écrit?
Non. J’y songe pendant que je vous parle. J’aimerais écrire sur les fins de carrière, avec tout son côté nostalgique, mais aussi sa beauté. Je parlerais bien évidemment de moi et mentionnerai d’autres artistes. Pour vous dire la vérité, je suis encore un enfant dans ma tête. Je suis aussi con qu’un gosse de 14 ans. Tout ce qui va me rester de ma carrière, ce sont mes rencontres. Imaginez rencontrer vos idoles! Lorsque j’étais petit, j’aurais fait 100 bordes à pieds pour Adamo. Il m’a appelé pour me souhaiter mon anniversaire l’autre jour. Je suis ami avec Alain Delon et Louis de Funès est venu voir mon spectacle. Quand je vois les autres me regarder de la même manière que je regarde ces stars, je ne comprends pas. En revanche, j’ai toujours cet émerveillement pour plein de personnes comme Bébel ou Lino Ventura qui m’avait invité à l’époque à bouffer des pâtes chez lui.
Est-ce qu’il y a une rencontre en particulier qui vous a marqué?
Oui et il se trouvait chez vous. Quand vous avez une idole, vous vous dites que la rencontre sera en dessous des espérances. Celle avec Frédéric Dard était au-dessus. Il voulait m’adopter. (Rires.) Nous sommes devenus plus qu’amis. J’avais fait une émission pour la Suisse et il m’avait dit: «J’ai envie de te poser une question embarrassante. Est-ce que tu m’aimes autant que je t’aime?» Putain, ça fait du bien. Il est de loin ma plus belle rencontre de tous. Humainement, c’était quelqu’un de fantastique. Les repas avec lui étaient sensationnels. Miss Monde pouvait passer devant moi, j’en aurais eu rien à branler. Ma phrase de chevet est la même que la sienne: «Je suis un vieux fœtus blasé. Ma vie m'aura servi de leçon. Je ne recommencerai plus jamais.»
Vous aviez également les deux un amour pour les mots.
Exactement. Il m’a transmis cette passion et je suis devenu par la suite verbicruciste (ndlr.: créateur de mots croisés). C’est un peu un paradoxe, car la plupart me prennent pour un abruti beauf. Mais c’est vachement difficile à composer «Les sardines», bien plus compliqué à écrire qu’un bouquin.
D’ailleurs, ce mois-ci nous fêtons le 15e anniversaire des «Sardines».
La chanson n’avait pas vraiment marché au départ. Ramzi a dit un jour en direct à la TV qu’il était fan du morceau en direct à la TV, alors qu’à la base il adore le rap. Ensuite Cyril Hanouna l’a récupéré. La suite de l’histoire, vous la connaissez. TikTok aussi m’aide un peu. Il y a un de mes vieux titres qui s’appelle «On est des fous» qui revient en force. Tout comme ma version de «Joyeux Anniversaire». On y échappe difficilement lorsque l’on fait la fête. J’ai même une vidéo dans mon téléphone où quelqu’un se fait enterrer avec «Les sardines» en musique de fond. Cela me touche de voir des gens avec autant d’humour. D’autant plus que je ne suis pas chanteur. À la base c’était juste une connerie.
Pourtant vous vous amusez à explorer plusieurs genres musicaux dans votre dernier album «Président de la fête»?
C’est vrai qu’il y a une chanson hard rock et que je récite un texte dans un autre de mes titres. Il s’appelle «Dites-moi s’il pleut». L’idée était dans ma tête depuis très longtemps: c’est moi dans mon cercueil. Je me pose des questions sur la météo, si mes enfants sont présents…
Pensez-vous à la mort?
Tous les jours. À mon âge, je perds tous mes potes. Je viens de dire adieu à Norbert de Carcassonne (ndlr: Le restaurateur Norbert Serres qui est mort dans la nuit du 4 au 5 novembre 2021 à l’âge de 67 ans.) On se disait qu’il fallait profiter, car la sentence pouvait arriver rapidement. Il est tombé et est parti en 3 minutes… trois secondes même. Certains pensaient qu’il faisait une blague. Enculé, va! (ndlr.: les larmes lui montent aux yeux.) Si ça se trouve, j’en ai encore juste pour cinq minutes. La mort ne me fait pas peur. Je pense qu’il s’agit surtout d’une délivrance plus qu’autre chose. Et pour être honnête, je n’aime pas cette époque. Je suis comme Delon. Il y a trop de monde qui me manque: mes amis intimes, mon fils (ndlr.: Sébastien, décédé d’un accident de moto à 19 ans) et mes parents.
Êtes-vous souvent en contact avec Alain Delon?
Nous avons eu plusieurs conversations, notamment sur nos enfants. Je lui disais que ça ne devait pas être facile d’être le fils d’Alain Delon, Il m’a répondu: «Ce n’est pas facile d’être le père du fils d’Alain Delon.» (Rires.) Quelle belle phrase! Et c’est un vrai nostalgique. Dans sa loge, on retrouve la robe de Romy Schneider. Jean Gabin lui manque terriblement, maintenant c’est Jean-Paul Belmondo.
Comment vous portez-vous aujourd’hui?
La santé ça va bien. On a la vigueur. Et comme disait mon copain: «Tant qu’on peut bander ça va!» Il n’y a pas que ça évidemment. (Rires.) Mais c’est important. Tout comme bien bouffer. Et puis je ne suis pas un fêtard. J’ai besoin de ma campagne, de mon silence… J’ai aussi la chance que mon boulot soit mon loisir. J’adore ce que je fais et ça me tient en forme.
Rien ne vous chagrine alors…
J’aurais adoré être une femme. Jusqu’à ce que je rencontre Delphine Ernotte, la patronne du service public. Le jour où j’ai compris qu’une femme pouvait être ainsi, cela m’a consolé d’être un homme. (Rires.) Blague à part, je n’ai jamais été aussi heureux. À part le poids de l’âge et la fatigue qui va avec. Tant que je peux monter sur scène pour chanter, ça va. J’ai quand même dit à mes potes de m’avertir quand ce sera pathétique. Le chanteur d’Indochine qui se caresse les fesses pour faire un peu sexy… ce n’est peut-être plus nécessaire. Je tiens à préciser que j’adore Nicola Sirkis, mais il y en a qu’une personne qui peut encore se le permettre de nos jours et c’est Mick Jagger.
Les excès, ça conserve?
Peut-être. (Rires.) Mais pas pour moi. J’ai arrêté l’alcool le jour de mes 32 ans. Je picolais une bouteille de whisky tous les jours. J’ai stoppé net et je n’en prendrai plus jamais. Le seul truc qui me reste c’est la clope. Tout le monde me dit: «Tu fumes trop, tu vas en mourir.» La moitié des gens qui m’avertissaient sont déjà décédés. Et comme répétait mon pote Serge Gainsbourg: «Si je suis incinéré, j’aurais fait la moitié du boulot.»
Les billets du «Plus grand cabaret du monde» sont disponibles sur le site de «Live Music Production» .