Ski alpinOn a skié sur la lune pékinoise
L’aventure a été longue et périlleuse mais a valu la peine. Récit au cœur d’une reconnaissance sur la neige de la piste «Rock», avant la descente féminine des Jeux de Pékin (mardi à 4h).
- par
- Sylvain Bolt Yanqing
Lors des étapes de Coupe du monde de ski alpin, les journalistes accrédités peuvent s’inscrire à la reconnaissance des courses. C’est l’occasion de découvrir des tracés qui font rêver, d’observer les athlètes et même parfois de discuter avec des coaches.
Là, on se rend compte que les images à la télévision traduisent très mal la déclivité et le revêtement de la piste. Et le «bleu glace» ou le «vitre de haut en bas» évoqués par Justin Murisier deviennent d’un coup plus parlant.
En arrivant à Yanqing, où se déroulent les épreuves de ski, je n’ai pas résisté à l’envie de tester la neige chinoise et dévaler la «Rock» olympique, celle qui a consacré Beat Feuz et Lara Gut-Behrami. Mais en arrivant sur place, j’ai très vite compris que ma mission «reco» serait plus compliquée que prévu. Et ce malgré ma demande faite à la FIS avant de partir.
Seuls les journalistes de télévision seraient visiblement autorisés pour se mesurer à la piste de vitesse olympique. Injuste? Clairement! J’ai donc dû insister auprès des multiples responsables du centre de presse. «It may be possible» m’a-t-on répondu trois jours consécutifs avant que je perde patience. Le problème de la langue est un casse-tête avec les bénévoles chinois. Mention spéciale à ce «Skiiis?!» répondu par un volontaire du…National Alpine Ski Center.
Il en fallait plus pour me décourager. Et c’est Cecil (prononcez Ceciiiiiil), un Américain qui transpire la bonhomie et qui gère l’organisation des conférences de presse d’après-course à Yanqing, qui m’a permis d’avancer dans mes démarches. Après deux jours (et une vingtaine de mails) d’échanges entre la FIS, le chef photo, Cecil et trois ou quatre autres personnes dont probablement le ministre chinois des sports, j’ai eu l’autorisation de m’inscrire à la «Media Inspection». Quel soulagement de recevoir le brassard jaune, sésame pour se présenter dans le portillon.
Par je ne sais encore trop quel miracle, j’ai même réussi à louer du matériel (skis et chaussures) pour 500 yuan, soit l’équivalent de 73 francs. Il a fallu faire jouer mes contacts établis au fil de la semaine au centre de presse du ski alpin des JO. Car dans la bulle olympique, il n’y a pas de magasins. «Par contre, ce seront des skis de 165 centimètres», m’a-t-on précisé quelques jours avant la reconnaissance du super-G féminin.
Dévaler une piste olympique de vitesse avec des skis de slalom, l’idée semble originale non? Il me restait encore un détail à régler: trouver le casque obligatoire. Ou en acheter un pour l’équivalent de 250 francs. Merci à ce confrère photographe romand qui m’a prêté le Graal sur le Gong, alors que j’allais (presque) laisser tomber.
Réveil radio allemand dans la cabine
Il est 6h, Yanqing s’éveille. La navette qui nous emmène chaque matin de l’hôtel au pied des pistes est vide. Je dois me frotter les yeux en apercevant un joggeur courir au bord de la route. Il doit faire -20 degrés dehors. Dans la télécabine au siège chauffant qui monte sur les pistes de ski, le grésillement du talkie-walkie de mon voisin, un coach allemand, ne me laisse pas m’assoupir: «Jüuuurrgen für Johaaan?!»
Le ciel devient de plus en plus clair et les quelques traces blanches commencent à se dévoiler sous mes pieds. Les skis m’attendent comme prévu au pied de la piste avec mon nom inscrit dessus. Ils sont de la même marque que celle qui équipe le Norvégien Kilde et ne sont pas en bois, contrairement au rêve (ou cauchemar) que j’avais fait la nuit précédente.
Je retrouve Romain Roseng, le commentateur du ski féminin à la RTS et son consultant Patrice Morisod qui s’équipent dans la salle de presse. «Tu as refait tes carres? Parce que c’est bien dur là-haut», me glisse l’ancien coach de Cuche et Défago. Petit contrôle et ça a l’air d’être plutôt tranchant. Ouf!
Dans les deux télécabines qui nous emmènent à 2200 mètres d’altitude, les montagnes alentour commencent à se dévoiler. Ce sont plutôt de gigantesques rochers et la zone semi-aride ressemble à un désert. Du sommet, l’horizon semble lointain et nous offre une vue imprenable sur des paysages chinois, que la bulle sanitaire ne nous permet pas réellement de découvrir.
Mes deux voisins de télécabine évoquent la mésaventure de leur collègue John Nicolet, qui a brûlé la semelle de son ski lors d’une reconnaissance avant de commenter une épreuve masculine à Yanqing. Je commence à me demander si j’ai eu raison d’insister pour cette reco. Mais ça semble trop tard pour faire demi-tour.
En sortant de l’installation, il fait froid. Très froid. Très très froid même. J’ai l’impression de marcher sur la lune en faisant quelques pas sur cette bande blanche dessinée sur ce rocher si sec. Je n’ai pas le temps de prendre un selfie que Patrice Morisod est déjà descendu quelques centaines de mètres plus bas.
Quel bonheur de faire ces premiers virages sur une neige très agressive, qui permet de laisser de belles traces et qui est très adhérente. Voilà pour mon analyse approximative de la neige, qualifiée plus sobrement de «chinoise» par Loïc Meillard.
Après environ deux minutes de «ski libre», on rejoint l’entrée de la reconnaissance, juste sous le départ du super-G féminin. Là, je dois l’avouer, la pression commence à monter. C’est parti!
Et ça commence fort. Le revêtement devient plus dur, surtout entre les deux lignes bleues qui délimitent la ligne de pente. Il faut éviter d’y laisser des grosses marques. Patrice Morisod a sorti son décamètre - réflexe d’un pro - pour mesurer l’écart entre les portes. «52 mètres» nous crie-t-il en bas d’un premier mur.
Dérapages contrôlés
Personnellement, je me concentre sur mes virages et mes dérapages dans les zones à risques. J’ai aussi une pensée pour mon serviceman, pourtant inconnu, qui m’a préparé de vrais couteaux. Et je remercie intérieurement ce confrère français, coach d’athlétisme à ses heures perdues, qui m’a incité à faire une courte session de sport la veille sur un tapis de course du fitness de l’hôtel. L’échauffement me permet de mettre suffisamment de force sur les carres.
Le temps est limité de 8h à 8h20 sur la «Rock», avant que Lara Gut-Behrami ne vienne reconnaître le tracé qui la couronnera championne olympique de super-G trois heures plus tard. Petite pause selfie sur certains passages-clés, comme le «Sugar Jump», qui n’a pas l’air si tendre.
Je tremble en m’imaginant débouler ici à plus de 100km/h. «Là, il faut prendre très haut, sinon tu n’arrives pas bien sur la porte suivante», conseille Patrice Morisod dans une traverse qui donne le vertige. J’opte pour la ligne la plus courte et directe, histoire que ce mur gelé ne soit qu’un lointain souvenir. Ici, n’y a vraiment pas de quoi faire le malin.
On arrive déjà dans la partie finale du «Canyon». Sur le rocher nommé «Russi’s Rock», au-dessus de notre tête, des entraîneurs sont déjà en poste. Là-haut, ils observent leurs athlètes. Je file tout droit et me permets même un petit schuss en ne manquant pas la pensée pour Marco Odermatt, qui n’a pas aussi bien maîtrisé ce passage que moi lors du super-G. Allez, c’est vrai, j’avais quelques kilomètres de moins au compteur.
En franchissant la ligne d’arrivée, je dois avouer que je ressens quand même un léger soulagement. Et surtout un immense sentiment de liberté, comme si j’avais pu m’évader de la bulle dans laquelle nous vivons depuis trois semaines. Et ça fait du bien autant à la tête qu’aux jambes. Dans l’aire d’arrivée, j’ai juste envie de remonter.