Football: Commentaire: comment CR7 est devenu CR200

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FootballCommentaire: comment CR7 est devenu CR200

Dicté par l’argent, le transfert de Cristiano Ronaldo en Arabie saoudite dépasse le cadre du football. Il traduit aussi la volonté de Ryad de placer le pays sur la carte du sport mondial. 

Nicolas Jacquier
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Nicolas Jacquier
Cristiano Ronaldo pose avec son nouveau maillot au côté de Musalli Al-Muammar, son nouveau président.

Cristiano Ronaldo pose avec son nouveau maillot au côté de Musalli Al-Muammar, son nouveau président.

AFP

On est bien d’accord, chacun doit gagner sa croûte (une croûte soit dit en passant de moins en moins épaisse). Vous, nous et même Cristiano Ronaldo - et tout le monde est libre de le faire comme il l’entend. Quitte à faire quelques incartades à la voie que l’on a tracée pour soi-même. C’est le cas de Ronaldo, cédant aux sirènes de l’Arabie saoudite - et surtout de ses pétrodollars - pour renier les généreux principes qu’il avait édicté en dogmes quelques années plus tôt. Ne (se) promettait-il pas, expliquait-il en 2015, de «sortir avec dignité» et «de ne pas finir aux États-Unis, au Qatar, ou à Dubaï».

Ronaldo n’a pas atterri très loin de la cible qu’il voulait à tout prix éviter. Le voici qui s’est posé en préretraite à Ryad, où, tournant le dos à cette Europe qu’il avait si longtemps mise à ses pieds, il y poursuivra sa fabuleuse carrière sous le maillot d’Al-Nassr. Le double vainqueur de la Coupe du Golfe des clubs champions possède, reconnaissons-le, les arguments financiers susceptibles de faire changer d’avis n’importe quel honnête homme.

Payé 21’108 francs l’heure

Fichtre, difficile de repousser un contrat aussi lucratif que celui offert à Ronaldo: on parle ici de 200 millions de dollars par an, revenus publicitaires et droits à l’image compris, faisant de lui le footballeur le mieux payé de la planète. Cela équivaut, au cours du jour, à un salaire quotidien de 506’593 francs, ce qui met l’heure de travail (ou de repos), à 21’108 francs. Des chiffres délirants qui ne peuvent que révolter et faire bondir les pauvres pékins que nous sommes.

Si l’indécence d’un tel salaire a certes de quoi choquer, posons-nous un instant la question de ce que l’on aurait fait à sa place. Sans doute pareil, non? Chasseur de buts devenu en même temps chasseur de primes, le quintuple Ballon d’or, déjà rebaptisé CR200 pour mieux épouser la nouvelle donne économique, n’a fait que se vendre au plus offrant en allant là où l’argent coule à flot. Et à tous ceux et celles qui s’étrangleraient d’indignation de voir Ronaldo tourner le dos au Vieux-Continent qui l’a nourri, on rappellera que le Roi Pelé n’avait pas agi autrement quand il était allé terminer sa carrière au Cosmos new-yorkais en vedette américaine. Beaucoup de stars allaient tout aussi opportunément suivre plus tard son lucratif exemple en s’éparpillant aux États-Unis, en Chine, dans les Émirats ou des contrées encore plus exotiques. 

Un nouveau marché à conquérir

Dans le cas d’espèce, Ronaldo n’a pas choisi l’Arabie saoudite et son exil doré au hasard. Tout cela participe d’un business plan modèle, minutieusement défini. Placé dans la lumière (celle-là même qui bonifie son talent) et au centre d’une nouvelle arène sportive que l’Europe lui refusait désormais, il va pouvoir y développer sa propre marque en partant à la conquête de l’énorme marché asiatique. Ce n’est pas rien pour qui connaît le potentiel quasi illimité de celui-ci.

En retour, Ronaldo se retrouvera propulsé en tête de gondole de l’immense projet des maîtres de Ryad consistant à mettre durablement leur pays sur la carte du sport mondial. L’indéniable succès du récent Mondial qatari les a confortés dans leur idée d’accueillir la Coupe du monde 2030. En matière géopolitique, l’arrivée du Portugais représente un atout de poids dans leur stratégie de sportwashing, illustré par le rachat de Newcastle par un fonds saoudien l’automne passé.

Ambassadeur de 2030

Appelé à devenir l’ambassadeur d’une candidature à laquelle l’Égypte et la Grèce sont aussi associées, Ronaldo devra notamment batailler contrer son propre pays, le Portugal ayant déjà déclaré son intérêt, un intérêt qu’il entend partager avec l’Espagne et… l’Ukraine. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes.

En attendant, c’est sur le terrain que Ronaldo, lequel a obtenu carte blanche pour les futurs transferts, va d’abord s’exprimer. Compte tenu de la relative faiblesse de l’opposition, il devrait s’y royaumer. Sa présence, qui a déjà fait exploser les compteurs de son nouveau club sur les réseaux sociaux, braquera les projecteurs sur un championnat méconnu sinon oublié.

Tout compte fait, on ne sait plus trop s’il faut applaudir ou s’indigner de ce transfert pas comme les autres, parce que bousculant nos fragiles certitudes occidentales (au demeurant, le risque existe de voir l’Europe perdre ses prérogatives dans un avenir plus ou moins proche). Mais ce que l’on sait déjà, c’est que CR200, emporté par une pluie de millions, devra s’employer pour demeurer (pour les plus optimistes) ou redevenir (pour les plus réalistes) le mythique CR7 qui, au-delà de son demi-milliard de followers, a tant fait rêver.

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