VTTAlessandra Keller: «Si tu veux accomplir quelque chose, il faut croire en toi»
La Nidwaldienne de 27 ans, longtemps freinée par des blessures, a enfin été laissée tranquille par son corps. Ça se traduit par des résultats de pointe, comme sa 2e place vendredi à Lenzerheide, et ce n’est que le début.
- par
- Robin Carrel Lenzerheide
Il y a des fois des rencontres qui marquent. Alessandra Keller, gagnante des deux classements généraux de la Coupe du monde de VTT la saison dernière, est un peu dans l’ombre des monstres Jolanda Neff ou Nino Schurter en Romandie. La Suissesse gagne toutefois à être connue et son interview, qu’elle nous a donnée jeudi autour d’un café à Lenzerheide, restera comme un excellent moment. Elle a tenu à répondre en français, juste parce qu’elle souhaite progresser dans le domaine. Ça en dit beaucoup sur son abnégation, sur et à côté de son Mountain Bike.
Vous avez essayé de nombreux sports dans votre jeunesse, de l’athlétisme à la natation, en passant par le hockey sur glace. Pourquoi vous êtes-vous fixée sur le VTT finalement?
Quand j’étais petite, je faisais un peu de toutes les disciplines. Mais quand je rentrais à la maison, mes parents me disaient que j’avais encore trop d’énergie! Alors je me suis essayée sur une course de VTT et c’était cool. Parce que c’était dans la nature et que c’était excitant. J’ai toujours apprécié quand ça va vite, quand il y a de l’action… Et, surtout, j’aime la compétition. J’ai commencé à courir en moins de 15 ans et c’est de là que tout est parti. J’ai gagné des courses et ça me rendait très fière.
Du coup, vous rentriez fatiguée à la maison et vos parents étaient contents.
Exactement (rires)! Quand j’étais plus jeune, j’ai passé ma maturité, mais j’avais besoin du sport en parallèle. C’était nécessaire pour que je puisse garder ma concentration à l’école et tenir quelques heures derrière une table pour faire mes exercices. Ensuite, j’ai étudié quatre ans, jusqu’en 2019, la pharmacie à l’ETH de Zurich. Le sport est ensuite devenu mon métier. J’ai décidé à ce moment-là entre les deux. Je me suis investie à fond dans le VTT, pour progresser le plus possible.
Comme ça, vous avez déjà une profession toute trouvée pour la suite?
Pas forcément… Je ne sais pas encore ce que je ferai après ma carrière de vététiste. Je vais continuer le Mountain Bike en tout cas jusqu’en 2025 et les Championnats du monde qui auront lieu à Crans-Montana. Ensuite, je déciderai. Le sport est une profession à part entière et je pense qu’il y a différents débouchés dans ce domaine qui peuvent s’offrir à moi pour la suite. Comme devenir physiothérapeute, par exemple. On verra comment les choses se passent!
Vous avez gagné les classements de la Coupe du monde la saison dernière, mais ça avait été compliqué les années d’avant…
En 2018, j’avais gagné les Mondiaux des moins de 23 ans à Lenzerheide. C’était ma dernière année chez les espoirs. La saison suivante, je me suis cassé les deux mains. Là, je n’ai pas eu la patience de me soigner correctement et j’ai repris très tôt. Trop tôt, finalement. J’ai trop donné et je me suis beaucoup investie pour revenir à mon niveau ensuite. C’est là que le Covid est arrivé et je me suis déchiré le ligament et le ménisque en janvier 2021… Ça a été trois ans où j’ai pu courir, mais jamais comme je le voulais. Bien loin de mes ambitions, qui sont très hautes. C’est à cette période que j’ai pu apprendre qui allait m’accompagner dans mon processus pour la suite. C’était mon équipe, mes parents et ma famille. Il n’y avait plus grand monde. Si tu veux accomplir quelque chose, il faut croire en toi.
En 2022, vous avez enfin pu évoluer à 100%. C’était comment?
C’était la première année de ma carrière où je n’ai pas eu d’accident! Ça m’a donné d’excellentes fondations pour la suite. J’ai pu travailler de ce point-là pour bâtir le futur. La saison a commencé au Brésil et je n’ai cessé de progresser ensuite pendant tout l’exercice. Et, cet hiver, j’ai fait une préparation sans incident, ni aucune fracture! Ça va me permettre de mieux cibler mes objectifs. En 2022, le but était de trouver de la constance. Cette année, je veux être plus rapide sur les grands événements: la Coupe du monde, les Championnats d’Europe et du monde.
Cette année, il y a aussi les pré-olympiques de Paris. Et l’année prochaine, ce seront les Jeux, avec seulement deux Suissesses au départ. C’est quelque part dans votre tête? C’est une pression?
Une petite pression, c’est logique. Mais moi, je voulais retourner ça et la transformer en motivation. Si je donne tout ce que j’ai et que je suis la meilleure Suissesse, il n’y aura pas de problème! Je prends ça comme ça. Je n’avais pas été sélectionnée pour Rio ou Tokyo, donc je vois les choses différemment. Les Jeux olympiques, c’est quelque chose de grand, mais ce n’est pas tout pour moi. Je n’étais pas passée loin et en décidant de réfléchir de cette manière, ça ne peut être que du positif.
Si la Suisse pouvait aligner dix athlètes, ils pourraient quasiment tous espérer une médaille. Mais dans le lot, il n’y aurait pas le moindre Romand ou presque. Vous avez une idée pourquoi?
Je ne sais pas. Le VTT est fait pour tout le monde. C’est dans la nature, on a de super parcours, de belle route, on peut en faire en famille… C’est quelque chose de culturel chez nous. Mais il y a aussi tout ça en Romandie. J’avais pas mal parlé de ça avec mon copain. Il est coach pour les enfants et il m’a dit qu’il avait beaucoup d’élèves vététistes francophones, mais que peu passaient au niveau élite ensuite. On ne sait pas… C’est peut-être dû au fait qu’il faut passer de l’autre côté de la Sarine quand les choses sérieuses commencent. Tout est en allemand, après, et seulement un ou deux passent ce «cut». Quand j’étais jeune, il y avait pas mal de Romands qui s’entraînaient avec nous. Mais très peu ont continué.
Ce week-end, c’est Lenzerheide… Un endroit très spécial pour les spécialistes de Mountain Bike et, forcément, pour les Suisses.
C’est une vraie fête ici. L’ambiance a toujours été incroyable. Si tu participes aux courses en tant que Suisse, les gens autour de la piste ne soutiennent que toi! Ils crient, mais seulement pour leurs compatriotes. Pas pour les Français, les Belges ou comme ça. Il n’y a que les Suisses qui comptent pour eux. C’est très différent de quand on court en République tchèque et ou Italie. J’ai gagné les championnats de Suisse à Crans-Montana et je porte ainsi le maillot à la croix blanche. C’est super cool, comme ça tout le monde me reconnaît!
Les vététistes suisses ne vont plus chercher à faire fortune sur la route. Le VTT attire même des stars comme Tom Pidcock ou Mathieu van der Poel. Quelque chose a changé?
Ces deux-là, ce sont parmi les plus grands talents du siècle. C’est pour ça qu’ils peuvent passer d’une discipline à l’autre. Moi, je n’ai pas ce talent. Pour avoir du succès, je dois me concentrer sur ma discipline de prédilection. Comme beaucoup d’autres athlètes. C’est comme ça que le niveau s’élève sans cesse avec les années et c’est grâce à ça qu’on va intéresser toujours plus les médias. Certains se perdent en route à courir sur la route, en VTT et l’hiver en plus en cyclocross.
Vous aviez couru le Tour de Suisse sur route l’année passée. Qu’est-ce que ça vous avait apporté?
C’est presque un autre sport, mais tu peux y trouver des outils et les utiliser dans le VTT. C’est pour ça que j’y avais participé. J’ai aussi couru quelques épreuves de cyclocross pour étoffer ma panoplie de vététiste. En plus, avec l’ambiance et l’équipe, ce Tour de Suisse avait été une super expérience.