ZoologieLes armées de fourmis légionnaires ont aussi déferlé sur l’Europe
Un fossile de 35 millions d’années montre que ces colonies dévastatrices que l’on ne trouvait pas sur notre continent l’avaient pourtant conquis avant de disparaître.
- par
- Michel Pralong
Environ 270 espèces de fourmis légionnaires vivent actuellement dans l’hémisphère oriental et environ 150 en Amérique du Nord et du Sud. Contrairement aux autres lignées de fourmis, celles-ci ont des reines sans ailes capables de pondre des millions d’œufs par jour, tandis que leurs colonies nomades occupent temporairement des nids entre les phases de voyage qui prennent la forme de bivouacs, impliquant parfois des millions de fourmis s’étendant sur 100 mètres. Et elles attaquent leurs proies en masse, avec une efficacité redoutable puisqu’elles peuvent faire… 500’000 victimes par jour.
Pourtant, elles sont étonnamment absentes en Europe aujourd’hui. La découverte d’un fossile montre que cela n’a pas toujours été le cas. Piégé dans l’ambre depuis 35 millions d’années, soit à l’Éocène, cet individu reposait depuis près de 100 ans dans un tiroir du Museum of Comparative Zoology de l’Université de Harvard (USA). Christine Sosiak, qui effectuait une recherche sur les fourmis conservées dans l’ambre, est tombée sur ce spécimen qui était étiqueté comme étant une fourmi commune, mais elle s’est vite rendu compte que cela n’était pas le cas.
Nommée d’après Persée
Sosiak et ses collègues ont compris que, contrairement à la plupart des espèces de fourmis, cet insecte n’avait pas d’yeux, des mâchoires pointues, un seul segment de taille et une grosse glande qui aurait sécrété les fluides protecteurs nécessaires à la vie sous terre, explique le «New Scientist». Ils l’ont nommé Dissimulodorylus perseus, du nom de Persée qui a vaincu Méduse sans la regarder dans les yeux, mais en utilisant le reflet de son bouclier. Il s’agit du premier fossile de fourmi militaire découvert en Europe et du deuxième fossile de ce type trouvé dans le monde.
Les fourmis militaires ont donc bien existé, certainement dans toute l’Europe continentale, avant de disparaître au cours des 50 derniers millions d’années. «Au moment où le fossile s’est formé, l’Europe était plus chaude et plus humide qu’elle ne l’est aujourd’hui et a peut-être fourni un habitat idéal pour les anciennes fourmis militaires», a Phillip Barden, senior auteur de l’article paru dans «Biology Letters». «L’Europe a cependant subi plusieurs cycles de refroidissement sur des dizaines de millions d’années depuis l’Éocène, ce qui peut avoir été inhospitalier pour ces espèces adaptées aux tropiques».
Attaques à l’aveugle coordonnées
Le spécimen découvert mesure 3 mm. Il s’agissait d’une ouvrière. «Les ouvrières de fourmis militaires participent à des raids sur des essaims, à la chasse à d’autres insectes et même à des vertébrés. Parce que ces fourmis militaires sont aveugles, elles utilisent la communication chimique pour rester coordonnées les unes avec les autres afin d’abattre de grandes proies», a expliqué Christine Sosiak dans «Eurekalert». «Cette ouvrière s’est peut-être trop éloignée de ses camarades chasseurs et s’est prise dans de la résine d’arbre collante, qui a fini par se solidifier et enfermer la fourmi telle que nous la voyons aujourd’hui.»
«Cette découverte est la première preuve physique du syndrome de la fourmi légionnaire à l’Éocène, établissant que les caractéristiques de ces prédateurs spécialisés étaient en place avant même les ancêtres de certaines fourmis légionnaires comme Dorylus», a déclaré Barden.