AffairesDans la Chine post-Covid, le blues des entreprises européennes
Une reprise incertaine, un casse-tête réglementaire et un climat d’affaires de plus en plus politisé: même si la Chine a rouvert ses portes, les entreprises européennes ont l’humeur morose.
Reprise incertaine, climat de plus en plus politisé: même si la Chine a rouvert ses portes après la pandémie, les entreprises européennes ont l’humeur morose, comme le révèle une enquête publiée mercredi. Pour deux tiers d’entre elles (64%), il est devenu plus difficile de faire des affaires en Chine, un niveau record, selon le sondage annuel de la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, réalisé en février et mars auprès de 570 entreprises.
En conséquence, «11% de nos membres ont déjà transféré des investissements hors de Chine», explique Jens Eskelund, président de la chambre. Ils ne sont pas les seuls à le faire: 38% d’entre eux disent avoir vu des clients et fournisseurs chinois faire de même. Et «10% des entreprises interrogées envisagent de déplacer leur siège Asie en dehors de la Chine, ou l’ont déjà fait», Singapour étant généralement plébiscité.
Reprise poussive
Pendant près de trois ans, la deuxième économie mondiale s’est fermée au monde, appliquant de strictes restrictions sanitaires qui ont régulièrement perturbé le fonctionnement des usines et des chaînes d’approvisionnement. L’annonce de la levée totale des mesures, en décembre dernier, avait donc été accueillie avec espoir.
Peine perdue: six mois plus tard, la reprise économique reste poussive et les tracas s’accumulent pour les entreprises étrangères établies dans le pays. Inquiètes, ces dernières notent, pour 59% d’entre elles, que l’environnement économique est de plus en plus politisé, dans un contexte de fortes tensions diplomatiques entre Pékin et Washington.
Et les incertitudes s’accumulent, qu’il s’agisse de la loi antiespionnage aux contours flous, qui entrera en vigueur le 1er juillet, ou encore du risque d’un conflit autour de Taïwan, que la Chine revendique comme une de ses provinces.
Interférences pour les étrangers, clémence pour les Chinois
«Depuis la reprise, il y a de plus en plus d’interférences du gouvernement dans les affaires», avec «une préférence accordée aux groupes nationaux, aux dépens des sociétés étrangères», témoigne le directeur d’un groupe industriel français installé dans la province du Shandong. À la moindre incartade, «le bureau de l’emploi me tombe dessus, pareil quand il s’agit de sécurité, d’environnement…», déplore-t-il sous couvert d’anonymat, affirmant que les sociétés chinoises bénéficient de plus de clémence.
Dans la province du Jiangsu, une entreprise raconte avoir reçu, en un an, plus de 200 inspections de la commission de l’environnement, de la santé et de la sécurité. Le patron installé dans le Shandong soupire en évoquant des «frais portuaires en hausse de 300%» par rapport à 2019, alors que les autorités locales «ont signé des accords favorables avec deux groupes chinois qui installent leur usine à côté». De quoi lui faire quitter la Chine, où il vit depuis seize ans? «Non, l’investissement est trop important.» La stratégie est désormais de diversifier les investissements hors de Chine, pour réduire les risques.
Un «resserrement des règles»
À Pékin, un cadre d’une entreprise européenne le confirme: «La Chine fait peur», car elle «renvoie l’impression d’un pays finalement incontrôlable qui, du jour au lendemain, peut décider de fermer». Lui aussi observe, depuis la réouverture, «un resserrement des règles» vis-à-vis des entreprises étrangères. «On sent qu’il y a une volonté de la part des Chinois d’être autonomes», note-t-il lui aussi sous couvert d’anonymat, par crainte de représailles.
«Ils modifient la réglementation pour avoir encore un peu plus de contrôle.» Exemple le plus criant: «Ils nous ont demandé de mettre des gens du Parti communiste dans notre entreprise, nous avons refusé.»
Pas d’expansion, ni de dédain
Plus de la moitié des entreprises interrogées (53%) n’envisagent aucune expansion de leur activité en Chine en 2023. Pourtant, «malgré les difficultés, la Chine est trop grande pour être ignorée», souligne Klaus Zenkel, représentant de la Chambre de commerce de l’UE dans le sud du pays. De fait, depuis 2019 et en dépit des dures années du zéro Covid, la chambre n’a vu partir aucun de ses 1700 membres. Elle note toutefois qu’aucune nouvelle PME européenne n’est venue s’implanter dans le pays depuis cette date.
«Tout le monde a besoin de la Chine, il ne faut pas se leurrer: la Chine reste l’usine du monde», explique le cadre de Pékin. «Néanmoins, les conditions d’entrée sur le marché chinois deviennent de plus en plus difficiles.»