Bande dessinée: Game of Thrones chez les Shadoks

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Bande dessinéeGame of Thrones chez les Shadoks

Alex Chauvel signe avec «Les pigments sauvages» un album étonnant, mêlant aventure et évolution et jouant comme rarement avec les codes de la BD. Passionnant!

Michel Pralong
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Michel Pralong

Voilà un album qui a de quoi dérouter au premier abord: un bel objet, certes, avec une reliure de qualité et doté d’une ficelle marque-pages, car «Les pigments sauvages», qui mesure 16 cm sur 24 cm, compte 280 pages. Pas évident donc de le terminer en une seule fois. D’autant que, en le feuilletant rapidement, on se demande même si on arrivera au bout, le graphisme faisant penser à un mélange de Keith Haring et des Shadoks. Deux belles références, certes, mais sont-elles assez digestes pour nous tenir en haleine et en alerte sur tant de pages?

Le doute s’estompe assez vite. Au bout de quelques minutes de lecture, on est pris par cette histoire, qui se déroule à plusieurs époques mais qui nous plonge dans une guerre de succession digne de «Game of Thrones», sauf que cela se passe chez des lémures, des parasites du microscopiques. Ceux-ci connaissent la lutte des classes, des castes et la puissance des mythes, ce qui leur donne l’occasion de se battre entre eux et avec leur propre conscience de leur place dans le monde.

Guide des personnages à la fin

L’autre grande force, outre cette histoire étonnamment prenante, c’est la structure et la forme de la narration. L’auteur, le Français Alex Chauvel, joue avec les codes de la BD, pour que l’emplacement, la forme et le rythme auquel se succèdent les cases façonnent le récit. C’est beau, souvent déroutant pour de bon, mais fait partie d’une sorte de jeu de lecture. À ce propos, signalons qu’un petit guide des personnages se trouve en fin d’ouvrage, bien utile pour ne pas s’emmêler les pinceaux.

Quand Alex Chauvel nous explique qu’il avait d’abord imaginé qu’il avait pensé faire une «BD dont vous êtes le héros», voilà qui ne nous surprend pas, tant le lecteur est mis à contribution. «Mais les derniers personnages que j’ai dessinés sont devenus les héros du récit et j’ai donc dissocié les thématiques». S’il se dit étonné que son livre soit comparé à «Games of Thrones», Keith Haring et les Shadoks, il trouve tout de même que cela fait sens. «Les Shadoks, j’adore évidemment et il est vrai qu’il y a un sens du mouvement et un minimalisme chez Ketih Haring que l’on pourrait associer à mes dessins. Pour «Games of Thrones», si j’ai vu la série que j’ai appréciée, je suis quand même plus «Seigneur des anneaux» et j’adore l’heroïc fantasy».

Cet étrange récit des «Pigments sauvages» est né dans son esprit avec l’une des premières scènes de l’histoire, où un cyclope bleu détruit la termitière des Lémures. «Il s’agissait bien d’un cyclope géant, mais qui détruisait un village humain, bouleversant l’ordre établi. L’idée est restée mais avec de petits personnages, plus graphiques».

L’ADN des livres-objets

Mener un récit sur autant de pages est une tâche complexe: «C’est un combat interne entre l’improvisation et une structuration extrêmement poussée. J’utilise presque la méthodologie scientifique, à savoir une hypothèse, que l’on vérifie avec des expériences qui nous mènent à une conclusion. Mes personnages sont la force vive que je mets dans des cadres et des structures mais qui peuvent en déborder».

La forme prend là aussi toute son importance. «Mon ADN, ce sont les livres-objets, où l’on joue avec la matière, les codes. Je vis avec une graphiste, alors ça aide. Je regrette que beaucoup de BD actuelles oublient d’utiliser les spécificités de cet art et ressemblent trop aux codes du cinéma».

Le titre de cette BD pas comme les autres est l’idée de l’éditeur d’Alex, qui le lui a suggéré. «Il m’a dit, toi qui aimes lire de l’anthropologie, tu devrais trouver un titre qui y fait référence». Et il a pensé à «La pensée sauvage» de Lévi-Strauss ou «pensée a été remplacé par «pigments». Ce qui a donné du coup un rôle plus prépondérant aux couleurs et m’a fait redessiner pas mal de pages». Tout ce mélange apporte une richesse au récit. «J’ai tenté au maximum d’aller vers plus de fluidité, avec de trouver le bon rythme pour raconter une histoire complexe, certes, mais pas compliquée».

Pari pleinement réussi en ce qui nous concerne. Osez vous plonger dans «Les pigments sauvages», vous ne devriez pas le regretter.

«Les pigments sauvages», d’Alex Chauvel, Éd. The Hoochie Coochie, 280 pages.

«Les pigments sauvages», d’Alex Chauvel, Éd. The Hoochie Coochie, 280 pages.

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