Nouvelle-CalédonieL’abattage des requins fait grincer des dents
Face aux attaques de squales, la capitale de la Nouvelle-Calédonie multiplie les campagnes d’abattage, qui ulcèrent les défenseurs de l’environnement et divisent la population de ce territoire français du Pacifique.
Dans les baies de Nouméa, le requin a attaqué l’homme une dizaine de fois en cinq ans, tuant sept personnes. Face à ce risque, des campagnes de pêche au requin sont menées depuis 2019, à Nouméa. La maire Sonia Lagarde, membre du parti présidentiel Renaissance, les a intensifiées depuis le début de l’année, tout en interdisant la baignade sur tout ou partie de son littoral, après plusieurs accidents. Ces «prélèvements» font bondir les défenseurs de la faune sauvage. «L’abattage en réponse aux attaques sur les humains est environnementalement irresponsable», tance la présidente de l’association Ensemble pour la planète (EPLP), Martine Cornaille, dans un courrier publié fin août par la revue «Nature». Selon cette lettre cosignée par deux chercheurs, les campagnes mensuelles d’abattage génèrent de nombreuses prises dites «accessoires», c’est-à-dire accidentelles, d’espèces inscrites sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Pour mai et juin, les rapports de la ville font état de 73 prises accessoires, toutes relâchées vivantes.
Sept attaques mortelles
«Nous ne sommes pas anti-requin mais quand on est en responsabilité, nous avons l’obligation de réduire le risque», répond le secrétaire général de la ville de Nouméa, Romain Paireau, en rappelant que depuis 2018, 11 attaques dont 7 mortelles ont été comptabilisées sur la commune. Les accidents, conjugués aux interdictions de baignade, ternissent l’image de l’archipel, alors que le tourisme y reprenait des couleurs, après la crise du Covid-19. «Ce qui nous inquiète, c’est la densité de requins et le nombre que l’on pêche, sans appâter et au même endroit», fait valoir le responsable municipal.
«Espèce sacrée»
Pour garder le squale à distance, la mairie prévoit de faire poser au plus tard à la mi-novembre un filet de protection sécurisant un plan d’eau de dix hectares. Les pêches de requins pourraient se poursuivre après l’installation de ces filets, mais à un rythme moins soutenu d’une campagne par trimestre. L’association EPLP a formé quatre recours contre les campagnes d’abattage auprès des juridictions administratives. L’une concerne la commune de Nouméa, qui «a organisé des campagnes de pêche sans que cela ne fasse l’objet d’acte administratif», affirme Martine Cornaille. Les trois autres procédures visent la province Sud, notamment pour avoir autorisé la pêche dans des réserves marines et retiré les requins-tigres et bouledogue des espèces protégées par son code de l’environnement.
Une modification adoptée en octobre 2021 par la collectivité présidée par Sonia Backès, par ailleurs secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, contre l’avis de son conseil scientifique, qui recommandait «des études et une réflexion approfondie».
La politique d’abattage de requins ne fait pas non plus l’unanimité au sein de la population calédonienne, même parmi les victimes d’attaques. «Souvent, la première réponse de l’homme c’est d’attaquer, de tuer, de montrer qu’on est supérieur à ce qui nous entoure. Alors qu’on devrait justement essayer de comprendre ce qui se passe, essayer de tirer des leçons», estimait mi-août sur la chaîne Nouvelle-Calédonie, la 1re Brigitte Do, de retour à Nouméa après plusieurs mois d’hospitalisation en Australie, à la suite d’une attaque le 29 janvier.
Une grande partie de la population kanake s’oppose aux abattages en raison de la place du requin dans sa culture. Une «espèce sacrée», «indispensable» à l’«écosystème naturel», soulignait en octobre 2021, le président du Sénat coutumier, Yvon Kona. Mais la position anti-abattage peine à trouver de l’écho auprès des autorités de Nouméa et de la province Sud. EPLP affirme avoir demandé à les rencontrer, en vain.