Bande dessinéeUn extraordinaire hommage au Marsupilami
En deux tomes radicalement différents, Frank Pé et Zidrou nous content les aventures bruxelloises du formidable animal avant qu’il ne rencontre Spirou.
- par
- Michel Pralong
Il y a trois ans sortait le premier tome de «La bête». Bête en question qui n’était autre, mais sans jamais l’appeler ainsi dans l’album, que le Marsupilami. Toutefois, l’animal malicieux, fort comme pas deux et sympathique que l’on connaît dans les aventures de Spirou n’a pas grand-chose à voir avec celui que nous présentent le scénariste Zidrou et le dessinateur Frank Pé.
Ce premier tome était en effet d’une singulière noirceur, avec un Marsupilami qui avait tout de la bête féroce. Les circonstances de l’aidaient pas. Capturé dans la jungle palombienne, il était presque le dernier animal vivant à bord du paquebot qui était tombé en panne et dont l’équipage avait dû renoncer à nourrir les bêtes pour ne pas mourir lui-même. Un récit qui débute dans un vaisseau fantôme charnier, c’est effrayant.
S’étant sauvé une fois arrivé à terre, l’animal tacheté allait être recueilli à Bruxelles par un petit garçon fou de bêtes. Alors que l’histoire aurait pu virer au rose, Zidrou a persévéré dans la noirceur, l’enfant étant maltraité par ses camarades puisqu’il était le fils d’un soldat allemand dont la mère était tombée amoureuse pendant l’Occupation de la Belgique. Ajoutez encore un cryptozoologue égocentrique qui ferait tout pour découvrir un animal inconnu et les services de fourrière prêts à emmener toute la ménagerie du petit garçon et vous avez tous les éléments d’un drame.
Changement total d’ambiance avec ce deuxième et dernier tome. Sur la couverture, le Marsu sourit au milieu des coquelicots, contraste saisissant avec la couverture sinistre du premier tome. Et tous les méchants de l’histoire vont revenir à de meilleurs sentiments, les tortionnaires du petit garçon prenant conscience de leur mesquinerie vont vouloir l’aider et même le cryptozoologue va faire preuve de sagesse. Mais attention, cela ne signifie pas que le récit va tomber dans la mièvrerie. Sur 208 pages (Frank Pé n’hésitant pas à faire des dessins pleine page, et vu leur beauté, c’est totalement justifié), le lecteur va être emmené dans une course-poursuite hallucinante. Le petit garçon se sauve avec le Marsupilami, décidé à retrouver le père qu’il n’a jamais connu.
L’importance de Bruxelles
Il faut à tout prix mentionner un autre personnage principal de cet album: Bruxelles. La poursuite permet à Frank de dessiner la ville sous toutes ses coutures, avec un épisode extraordinaire dans un ancien magasin de tissu. Qui se situe dans le bâtiment Horta qui abritera quelques années plus tard le Centre belge de la BD, musée incontournable lors d’une visite de la ville. Le Marsu au CBBD, quel beau clin d’œil! Zidrou use également de nombreuses expressions en bruxellois (avec un lexique en fin d’album) et ce n’est donc pas une surprise que cet album ait reçu le grand prix lors du récent festival BD de Bruxelles.
L’histoire est écrite avec toute la finesse de Zidrou et les dessins de Franck Pé sont hallucinants. On aimerait avoir chaque case sur notre mur. C’est un hommage époustouflant à la créature inventée par Franquin, qui va enfin recevoir son nom à la fin de l’album et se retrouver prête à rencontrer Spirou et Fantasio. Mais ceci est une autre histoire, qui remonte à 1952, dans «Spirou et les héritiers».