HommageLa dernière interview de Jane Birkin au matin.ch: «J’ai eu le meilleur de Serge Gainsbourg»
En janvier dernier, la chanteuse nous disait vouloir présenter une ultime fois son projet «Gainsbourg-Birkin: le symphonique», le 30 mai à Montreux.
- par
- Fabio Dell'Anna
Jane Birkin est décédée à 76 ans. En hommage à la chanteuse et actrice, nous vous proposons de redécouvrir la dernière interview qu’elle a accordée au matin.ch. C’était en janvier dernier.
Cette sensation de «ne jamais en avoir fait assez» pousse Jane Birkin à se dépasser lors de chaque obstacle. Le dernier en date: elle a été victime en août 2021 d’un AVC. Si, aujourd’hui, la chanteuse de 76 ans va mieux, c’est en majorité grâce à son envie de remonter sur scène. «C’est là que je me sens le plus à l’aise», nous dit-elle avec son accent anglais.
La muse, conjointe et interprète de Serge Gainsbourg nous a parlé il y a deux semaines par téléphone de son prochain concert à Montreux, le 30 mai, où elle présentera une ultime fois le spectacle «Gainsbourg-Birkin: le symphonique». Pour l’occasion, elle a invité l’Ensemble Symphonique de Neuchâtel ainsi que Carla Bruni, Sandrine Kiberlain ou encore sa fille Lou Doillon à la rejoindre sur scène.
Avec son rire délicat, Jane Birkin nous raconte sans filtre son amour pour Gainsbarre, pour ses textes ainsi que le jour où elle l’a quitté pour quelqu’un d’autre.
Comment vous sentez-vous plus d’un an après votre AVC?
Je vais splendidement bien. J’ai eu le Covid six fois. C’est quand même incroyable. Il est peut-être resté en moi et a décidé de sortir de temps en temps. (Rires.) Même mes docteurs n’en revenaient pas. Comme je me déplace pour faire la promotion de mes concerts dans les pays où je joue, j’ai pris pas mal de risques. Je n’ai malheureusement pas du tout d’immunité à cause de ma leucémie, il faut que je fasse plus attention.
Quel effet ça vous fait de présenter une dernière fois le spectacle «Gainsbourg-Birkin: le symphonique».
À vrai dire, je n’ai pas joué ce show depuis trois ans. J’ai parcouru le monde avec ce projet. Je suis allée à New York ou encore à Tokyo. Que de souvenirs… Là, on va prendre une journée de répétition totale. Juste pour éviter de m’emmêler les pinceaux.
Vous l’avez pourtant joué durant cinq ans. Cela ne s’oublie pas…
C’est vrai. Et ce projet a une signification très spéciale pour moi. Après le tsunami au Japon en 2011, je suis partie rapidement sur place. À Tokyo, j’ai demandé à un membre de mon équipe de me trouver quelques musiciens pour jouer des morceaux, afin de remonter le moral des gens et de collecter de l’argent. Lorsque j’ai quitté l’île, on m’a annoncé des dates en Amérique. Je me demandais quel genre je pouvais bien présenter cette fois-ci et je me suis souvenu de ce pianiste japonais, Nobuyuki Nakajima, qui m’a accompagnée. Je lui ai demandé s’il pouvait s’occuper des orchestrations du projet, et il a accepté.
C’était aussi simple que ça?
Oh non! Pour arriver au produit final, il a fallu travailler un peu plus. Tout a vraiment commencé au Canada avec Michel Piccoli et Hervé Pierre (ndlr: un des piliers de la Comédie Française). Après la mort de ma fille Kate, je n’avais plus envie de chanter. On a eu l’idée de me faire lire les textes de Serge sans la musique, juste pour me sortir de ma mélancolie car je ne savais plus savoir quoi faire. De là est né le spectacle «Gainsbourg, poète majeur». En arrivant à Montréal, j’ai expliqué à une journaliste que Serge s’inspirait beaucoup de la musique classique pour ses mélodies comme «B.B.», «Jane B.» ou encore «Baby Alone In Babylone». Elle m’a demandé pourquoi ne pas partir avec un orchestre symphonique? Je lui ai répondu que ce sont des idées pour les gens en fin de carrière. J’avais peur que ce soit chiant! (Rires.) C’est à ce moment-là que je me suis souvenue de Nobuyuki Nakajima. Il a fait des musiques de films. Et ça, ce n’est jamais ennuyant. Je lui ai alors proposé le projet.
Vous souvenez-vous de votre première pour «Gainsbourg-Birkin: le symphonique»?
On avait commencé très vite à Montréal. J’avais complètement perdu ma voix et j’avais passé un peu de temps à l’hôpital. Pour la première, il a fallu que je parle. C’était une catastrophe. (Rires.) Cette expérience m’a permis de me rendre compte que ma voix n’était pas la chose la plus importante pour ce show. La magie vient de l’orchestre. La suite de la tournée a été très agréable car je savais que le public serait ébloui par les arrangements.
Vous connaissez les titres de Serge Gainsbourg sur le bout des doigts. Qu’est-ce qui vous étonne encore à ce sujet?
Je suis encore étonnée de ne pas avoir entendu une version anglaise de «La Javanaise». Sa mélodie est parfaite. J’avais tenté il y a une vingtaine d’années que l’on traduise ses textes, mais je n’ai jamais eu de réponse. Il faut dire que le français fait aussi tout son charme. Je me souviens qu’à Hong Kong on venait me dire qu’on voulait apprendre cette langue grâce à moi. Ce qui est un peu un gag lorsque vous m’entendez parler. Je déforme les mots quotidiennement. (Rires.)
Traduire ces chansons en anglais vous tient encore à cœur?
Oui. Mon petit-neveu Anno devait le faire, mais il est mort dans un crash automobile (ndlr.: en novembre 2001) alors qu’il n’avait que 20 ans. Serge l’a inspiré pour plusieurs de ses œuvres. J’ai aussi tenté de traduire de mon côté «Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve», mais c’est nettement moins bien que l’originale. Mon frère m’a soufflé l’idée de passer ce projet à une université pour être sûre que les mots soient bien choisis et que le sens reste le même. On verra…
Est-ce qu’il y a une chanson qui vous fait constamment penser à Serge Gainsbourg lorsque vous l’interprétez?
Oui. «Une chose entre autres», car les paroles me sont directement adressées. Il a écrit: «Tu as eu plus qu’un autre. L’meilleur de moi, est-ce ta faute? Peut-être pas. Les parcours sans faute n’existent pas… Tu crois que j’allais revenir sur tes pas? Les miens, les nôtres, mais ça va pas, dans ta tête, tu te prends pour quoi?» Et c’est vrai. J’ai eu le meilleur de lui. La première fois que j’ai interprété le titre, j’étais énervée. Il me faisait chanter ma culpabilité, car je l’avais quitté pour quelqu’un d’autre. De plus, cela faisait plusieurs chansons qu’il revenait sur le même sujet. J’ai d’ailleurs refusé un morceau qui s’appelle: «Un amour peut en cacher un autre». Je lui ai dit: «On a compris. Merde!» (Rires.) Aujourd’hui, quand vient le tour de ce morceau sur scène, je pense beaucoup à lui, car il avait complètement raison. J’ai profité de lui d’une manière extraordinaire. Je ne sais même pas si cela a existé qu’un compositeur écrive pour quelqu’un de ses 20 ans jusqu’à sa mort. J’ai eu une chance folle.
Lors de votre premier concert en mars 1987 au Bataclan, à Paris, vous aviez dit ne vouloir monter sur scène qu’une seule fois. Cela a bien changé. Quel souvenir en gardez-vous?
Oui. (Rires.) Je n’avais interprété que des titres de Serge sauf «Avec le temps» de Léo Ferré. J’avais décidé de m’habiller en garçon. J’avais demandé à Serge de me couper les cheveux avec des ciseaux à ongles. C’était très court. Il m’a quand même dit: «Tu vas faire un effort et être sexy en mettant un peu de rouge sur tes lèvres?» Je lui ai dit que je ne voulais. Mon but était que les gens se focalisent sur la musique et non sur mon physique. Cela a surtout emmerdé Agnès Varda, car on tournait un documentaire sur ma vie. Elle s’est retrouvée avec une actrice aux cheveux courts du jour au lendemain.
Vous étiez en train de tourner le documentaire «Jane B. par Agnès V.». Elle a habité deux ans avec vous pour le réaliser. Comment c’était?
Génial. Enfin, plus pour moi que pour les autres membres de la maison. (Rires.) Tout le monde n’appréciait pas être filmé à tout moment. Elle avait mille idées par jour et elle était une vraie boule de curiosité. J’ai revu le film récemment car sa fille est en train de travailler sur un projet et m’a demandé d’écrire un texte. C’est un document plein d’audace. Agnès Varda était un personnage qui rendait la vie vraiment plus gaie.
Votre fille Charlotte Gainsbourg a aussi réalisé un documentaire à votre sujet en 2021. Lors de sa promotion, elle nous avait dit: «Ma mère aime les gens. Elle est curieuse et tout cela la maintient en vie.» Cela vous correspond?
Probablement. J’ai surtout la sensation de ne jamais avoir fait assez. Par exemple, je trouve ça dingue que l’on n’ait rien organisé pour envoyer des jouets à Noël en Ukraine. Il ne faut pas les oublier. Tout le monde aurait été ravi d’acheter un petit quelque chose pour des enfants. Lorsque je travaillais pour Amnesty International, nous écrivions des lettres à un Africain condamné à mort. J’avais demandé: «Pourquoi faisons-nous cela? Ils vont le tuer de toute manière.» On m’a répondu que c’est important qu’une personne se sente soutenue peu importe la situation et le futur. Aujourd’hui, c’est ce message que j’aimerais faire passer.
Jane Birkin en concert lors de l’ouverture du «Septembre Musical» à l’auditorium Stravinski, le 30 mai 2023. La billetterie est déjà ouverte.