WebInfo et réseaux sociaux: chez les jeunes, les journalistes en perte d’influence
Influenceurs et célébrités seraient de meilleures sources d’information que les journalistes aux yeux des jeunes? C’est ce que tend à montrer un rapport mondial.
Le réseau social TikTok prend une importance croissante, comme canal d’accès à l’info. «Les plus jeunes générations, qui ont grandi avec les réseaux sociaux, accordent souvent davantage d’attention aux influenceurs ou aux célébrités qu’aux journalistes, même quand il s’agit d’information», souligne le rapport 2023 de l’institut Reuters pour l’étude du journalisme, rattaché à l’université anglaise d’Oxford.
Ce rapport annuel sur l’information numérique, publié mercredi, s’appuie sur des sondages en ligne menés par la société YouGov auprès de 94 000 personnes dans 46 pays.
Fait marquant cette année: la majorité des utilisateurs de TikTok, Snapchat et Instagram dit accorder son attention aux influenceurs ou aux célébrités en matière d’info. À l’inverse, sur Facebook (qui, comme Instagram, appartient au groupe américain Meta) ou Twitter, moins utilisés par les jeunes, les journalistes jouent les premiers rôles.
Interrogé par l’AFP, l’auteur principal du rapport, Nic Newman, cite l’exemple du jeune Anglais Matt Welland, qui passe en revue des sujets d’actualité ou de vie quotidienne sur TikTok pour ses 2,8 millions d’abonnés.
Facebook dévisse
«Ça peut aussi être une célébrité qui parle d’un fait d’actualité», poursuit Nic Newman, en évoquant la campagne numérique du footballeur anglais Marcus Rashford en 2020 en faveur des repas gratuits pour les enfants pauvres.
Car pour la génération TikTok, le terme «information» a un sens bien plus large que dans son acception traditionnelle, où l’on pense d’abord politique ou relations internationales.
Pour ces jeunes, l’info «désigne toute chose nouvelle, tous secteurs confondus: sport, divertissement, potins people, actualité, culture, arts, technologie, etc.», relevait l’institut Reuters dans une étude distincte l’an passé.
Cette prise de pouvoir des influenceurs est l’effet le plus spectaculaire d’un bouleversement de la hiérarchie entre réseaux sociaux: les traditionnels comme Facebook sont en perte de vitesse, ringardisés par ceux qui sont fondés sur la vidéo, comme TikTok, YouTube (qui appartient au groupe Alphabet, maison-mère du géant américain Google), Instagram et Snapchat.
C’est vers ces derniers que les jeunes se tournent, y compris pour l’info.
En 2023, seuls 28% des sondés indiquent accéder aux infos via Facebook, alors qu’ils étaient 42% en 2016.
C’est en partie dû à son «désengagement» du secteur de l’info, qui ne semble plus être une priorité stratégique, et en partie au fait que les réseaux fondés sur la vidéo «accaparent de plus en plus l’attention des plus jeunes».
Parmi eux, le Chinois TikTok est «celui qui connaît la plus forte croissance»: il est utilisé par 20% des 18-24 ans comme source d’accès à l’info (5 points de plus qu’en 2022).
Critiques d’une Nobel
Fréquemment accusé en Occident d’être un outil d’influence, voire d’espionnage, de Pékin (ce dont il se défend), TikTok est selon l’étude particulièrement utilisé en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Plus largement, en raison des habitudes des jeunes générations nées sous les réseaux sociaux, «notre dépendance à ces intermédiaires» dans l’accès à l’info «continue à augmenter».
Il est de moins en moins fréquent que le public arrive directement sur un site d’info: la plupart du temps, il passe d’abord par un réseau social, malgré le risque de désinformation.
Considéré comme un outil de référence pour analyser les mutations des médias, ce rapport a toutefois été critiqué par la journaliste philippine Maria Ressa, Prix Nobel de la paix 2021.
Dans des propos rapportés par le quotidien britannique The Guardian, elle a contesté la méthodologie de l’étude, qui établit un indice de confiance dans les médias, pays par pays.
Cette méthodologie ne prend pas en compte la «désinformation» des gouvernements autoritaires au sujet des médias indépendants, qui peut nuire à l’image que les sondés ont de ces derniers, a-t-elle estimé.
Selon la Prix Nobel, la mauvaise note du média qu’elle a fondé, Rappler, dans l’édition 2022 du rapport a servi l’argumentaire hostile du régime philippin contre lui.
En réponse à ces critiques, le directeur de l’institut Reuters, Rasmus Kleis Nielsen, a jugé que les «attaques» envers Maria Ressa et ses collègues procédaient d’une «déformation» du rapport et il a salué «le travail important» de Rappler.