TéléphonieUne méga antenne 5G enflamme le Creux-du-Van
La mise à l’enquête d’une puissante antenne de téléphonie dans la réserve naturelle neuchâteloise fait réagir les milieux opposés à la 5G. Swisscom estime qu’elle est nécessaire pour la couverture optimale de la zone.
- par
- Eric Felley
«La grande majorité des gens qui viennent dans cette région recherche la nature, ils n’ont pas besoin d’être super connectés». Amélie Matthey habite Champ-du-Moulin près de Rochefort (NE), non loin du Creux-du-Van. Comme d’autres personnes de la région, elle a appris la semaine dernière qu’une grande antenne de téléphonie avait été mise à l’enquête non loin de chez elle. «Ce serait la plus puissante de Suisse, dit-elle, et je me demande pourquoi ici, alors qu’il n’y a que quelques centaines d’habitants».
Le 21 avril, les opérateurs Swisscom et Salt ont mis à l’enquête une nouvelle antenne de téléphonie mobile sur la commune de Rochefort (NE), qui émet dans une réserve naturelle de la faune et de la flore située dans la réserve du Creux-du-Van. Cette antenne de 25 mètres de haut, isolée dans la forêt, vise à remplacer l’actuelle 3G, qui doit quitter son emplacement près d’une ligne à haute tension pour des raisons de sécurité.
En termes de puissance, la nouvelle antenne (3G, 4G et 5G) fait un bond spectaculaire, qui n’a pas échappé aux milieux opposés à la 5G. D’après Chantal Blanc de l’association Stop 5G, l’ancienne avait un rayonnement de moins de 1000 Watts ERP, mais celle mise à l’enquête peut atteindre 96 000 W, voire jusqu’à 192 000 W avec le facteur de correction autorisé pour les antennes adaptatives. Elle émettrait ainsi dans un rayon de 5 km au pied de la falaise du Creux-du-Van. «Ce serait la plus puissante de Suisse», affirme-t-elle.
L’association Stop 5G est fâchée: «Mettre à l’enquête une installation d’une telle puissance dans une réserve naturelle est hautement significatif du mépris que les opérateurs ont pour la protection du vivant. Les opérateurs se sentent tout-puissants et osent tout, même prévoir d’irradier massivement une zone protégée. Malheureusement, la législation actuelle leur en donne le droit et cela démontre qu’il faut revoir la législation afin d’offrir une meilleure protection à la biodiversité».
Comparaison impossible
Concernant la puissance, Swisscom conteste le calcul des opposants. Sa porte-parole Alicia Richon constate: «L’antenne que nous allons remplacer émet actuellement sur la seule fréquence de 900 MHz avec des antennes de vieille génération qui ne sont plus du tout d’actualité aujourd’hui. Ceci accentue encore le fait que la comparaison est très compliquée voire impossible». Le nouveau mat est partagé entre les deux opérateurs, qui disposeront de trois secteurs chacun. Swisscom estime qu’un de ses secteurs aura une puissance de 9000 W. Le fait est que les calculs divergent entre les opposants et l’opérateur.
Pour couvrir le plus grand secteur possible
Quoi qu’il en soit, Swisscom admet que son installation en vaut en tout cas deux: «La région est très touristique et très fréquentée, justifie l’opérateur. Cette antenne est nécessaire pour assurer une couverture mobile minimale et assurer à chacun de pouvoir, en cas de problème notamment, appeler les secours. Cette puissance est nécessaire pour couvrir le plus grand secteur possible tout en respectant les règles et lois en vigueur. Baisser la puissance de cette antenne nous obligerait à en installer une deuxième pour couvrir la même zone».
Pour télécharger de gros fichiers?
Stop 5G rebondit sur cet argument: «Pour passer un appel téléphonique, une intensité de champ électrique d’environ 0.002 V/m est suffisante. Que ce soit pour un appel d’urgence ou une communication de confort, une couverture radio aussi faible fonctionne. Tout le débat est là. Quelle est la puissance adéquate d’une installation de téléphonie mobile dans une réserve? Doit-on pouvoir jouer à des jeux en ligne ou télécharger de gros fichiers dans une réserve? Ou une simple couverture radio pour appeler les secours en cas de problème est-elle suffisante?»
Un «méga radiateur»
Les opposants estiment que cette puissance va nuire à la biodiversité. Ils se réfèrent à une récente compilation d’études faite à l’Université de Neuchâtel sur les effets du rayonnement non ionisant sur les arthropodes pour le compte de l’Office fédéral de l’environnement, d’où il ressortirait que les insectes sont impactés. Pour Amélie Matthey: «Une étude a montré que les abeilles étaient désorientées à cause des ondes. On sait que cela a un impact sur le vivant». Un sympathisant de Stop 5G estime que cette antenne est un «méga radiateur qui va «brûler» les insectes, les arbres et faire fuir les oiseaux».
Des études à affiner
Swisscom ne conteste pas les études, mais constate que les effets de la téléphonie mobile sur les insectes sont encore «largement inconnus»: «Le rapport de l’Université de Neuchâtel montre que, selon l’intensité de l’exposition, le rayonnement peut avoir des effets sur les insectes, notamment en ce qui concerne le comportement, la reproduction ou en influençant le métabolisme. Les chercheurs soulignent toutefois que la qualité des analyses disponibles est généralement faible et que davantage d’études doivent donc être menées sur ce sujet. Les effets du rayonnement sur les animaux et les plantes sont des sujets que l’Office fédéral de l’environnement souhaite continuer à explorer en soutenant d’autres études. Swisscom salue cette décision de l’autorité fédérale compétente».
Des oppositions en vue
Pour Nicolas Wuthrich, secrétaire romande de Pro Natura, la construction de cette antenne près de la réserve naturelle du Creux-du-Van pourrait faire l’objet d’une opposition de leur part: «Nous allons soigneusement étudier le dossier de mise à l’enquête pour évaluer les impacts éventuels du point de vue de la protection des biotopes, des espèces et de l’aménagement du territoire. Ce sont ceux qui sont dans le domaine d’action et d’expertise de Pro Natura. Si nous estimons qu’il y a besoin de nous opposer et si nous disposons des arguments juridiques le permettant, nous réagirons».
Amélie Matthey précise que l’opposition va venir des habitants de la région: «Les gens n’étaient pas au courant, petit à petit ils se mobilisent. Je pense qu’ici la grande majorité de la population locale n’est pas favorable à une telle antenne. Nous avons le wi-fi et le téléphone fonctionne suffisamment».