FootballAnalyse: cette Suisse-là est agressive
À Wembley samedi, Murat Yakin n’a pas hésité à penser à un plan pour aller presser haut l’Angleterre. Décryptage.
Le cliché colle aux basques de Murat Yakin. Entraîneur défensif d’un côté, plus pragmatique que protagoniste de l’autre. Il y a des parts de vrai. Mais ses premiers mois à la tête de l’équipe de Suisse révèlent surtout un technicien qui a en effet une réflexion défensive poussée.
Celle-ci tend à être proactive, pour ne pas dire agressive. La qualité de l’adversité n’est pas une variable. Avec Murat Yakin, l’équipe nationale a un plan pour empêcher ses adversaires d’avancer. Et souvent en coupant les relations dès la relance. Malgré la défaite 2-1, la prestation helvétique en Angleterre l’a démontré. Décryptage des mécanismes.
Composer avec la défense à 3
Par conviction sans doute, Murat Yakin pense ses plans de match en fonction de l’adversaire. Par décision cependant, il a établi que le système de l’équipe de Suisse avec Xherdan Shaqiri serait un 4-2-3-1, ou 4-4-1-1, c’est selon. Avec le ballon du moins. Sans ballon, les schémas qui lui sont opposés définissent la configuration helvétique. Et le 3-5-2 anglais suggérait une réflexion quant aux mouvements à adopter. Autrement dit, difficile de se calquer directement dessus.
Cela induisait donc une préparation claire. Yakin avait bossé ce match et requis de ses attaquants une certaine lecture. Mais avec toujours pour objectif de sortir à trois sur le trident White-Coady-Guéhi. Parce qu’en bloc médian, la Suisse s’aligne en 4-4-2 ou 4-2-3-1 (en fonction du positionnement du milieu défensif adverse), alors Shaqiri est souvent le plus proche pour accompagner Embolo au pressing. Il l’a donc fait quelques fois à Wembley samedi, assisté par l’un des ailiers (Vargas ou Steffen).
Mais son rôle premier et prioritaire avec Yakin est surtout de s’occuper du milieu défensif. En le marquant de près ou, à défaut, de couper la relation vers celui-ci. Le meneur de jeu s’est donc attelé à rester proche de Henderson, comme il l’avait fait avec Jorginho en novembre dernier. Avec une certaine réussite, puisque le joueur de Liverpool aura été peu touché par ses défenseurs en première période.
Dans ce contexte, tâche aux ailiers d’accompagner Embolo pour ce qui pouvait ressembler à un 4-2-1-3. Avec un certain calcul: Vargas et Steffen sortaient haut principalement lorsque le ballon s’approchait de la zone de leur défenseur direct. Lorsqu’il était à l’opposé, il valait mieux être prêt à un repli à la hauteur des milieux, surtout afin de prévenir une possible diagonale anglaise vers l’un des deux extérieurs Walker-Peters et Shaw.
Orienter à l’intérieur
Neutraliser ces éléments dangereux était un autre objectif de Yakin samedi. Avec sans doute un peu moins de réussite puisque le 1-1 a été inscrit par Luke Shaw. Même s’il faut nuancer: lorsqu’il s’agissait de progresser balle au pied, les extérieurs ont bénéficié de beaucoup moins de latitude. Parce que la Suisse a tout fait pour éviter qu’ils aient le ballon.
Le comportement d’Embolo et des deux ailiers suisses a en effet été saisissant. Leurs courses de pressing ont toujours été incurvées et orientées pour que les défenseurs anglais cherchent l’intérieur du jeu. Autrement dit, l’objectif était de couper la ligne de passe vers l’extérieur. White à droite et Guéhi à gauche ont ainsi été embêtés par ces mécanismes défensifs.
La construction anglaise a donc pâti d’un certain manque de spontanéité. Shaw et Walker-Peters devaient se faire voir, parfois en reculant quelque peu. La Suisse était prête, et les latéraux Rodriguez et Widmer (puis Mbabu) pouvaient l’anticiper et sortir fort sur eux. L’autre solution pour les Three Lions étant de trouver les milieux, et notamment les décrochages de Mount. Mais la Suisse défendait en avançant et Freuler n’hésitait par exemple pas à sortir fort sur lui. Pareil lorsque Foden redescendait dans son propre camp: Fabian Frei le suivait. La Suisse contrôlait l’intérieur du jeu, lui permettant de récupérer plus d’un ballon et de subir le moins possible.
Rester fidèle aux principes
Cette approche défensive est pertinente: elle neutralise presque totalement un adversaire, à condition de faire à peu près tout juste. Et notamment d’anticiper les longs ballons, qui ont pu arriver par Pickford ou par les défenseurs. Plus compliqué, lorsque Harry Kane est visé et touché.
Si le bloc ne retrouve pas de la compacité très rapidement, notamment pour jouer le duel, puis le deuxième ballon, tout est remis en question face à une équipe qui verticalise rapidement, par des appels et des passes. La Suisse aura pu se mettre en danger de la sorte.
Autres moments chauds: lorsqu’elle est sortie des principes. Par exemple, en pressant Pickford directement, et donc en laissant un défenseur libre. Ou lorsqu’il faut s’adapter à une adaptation adverse. Dans la dernière demi-heure, l’Angleterre est en effet passée à quatre défenseurs, et cela change la donne.
D’autant que, côté suisse, les changements avaient aussi chamboulé l’équipe. Comme un rappel que la marge de manœuvre de Murat Yakin est limitée. Toute prise de parti ne peut être rendue légitime que par une réflexion des plus précises.