CyclismeLe prodige Biniam Girmay a pris son envol à Aigle
Vainqueur de Gand-Wevelgem dimanche, le cycliste érythréen a été repéré en 2018 par le CMC d’Aigle. L’un de ses anciens coachs, Jean-Jacques Henry, raconte ses débuts en Suisse.
- par
- Sylvain Bolt
Dimanche, Biniam Girmay a marqué une page d’histoire du cyclisme, en devenant le premier coureur africain à remporter une classique sur le World Tour. Le cycliste Érythréen de 21 ans s’est imposé au sprint à l’arrivée de Gand-Wevelgem, après s’être déjà illustré à Milan-Sanremo (12e) un peu plus tôt dans la saison.
Mais avant d’offrir cette victoire de prestige à son équipe belge (Intermarché) qu’il a rejointe en 2021, Biniam Girmay a donné ses premiers coups de pédale à Aigle en 2018. L’espoir africain avait été repéré par le Centre mondial du cyclisme (CMC) en décrochant les trois titres (épreuve en ligne, contre-la-montre individuel et contre-la-montre par équipes) des championnats continentaux d’Afrique en février 2018 à Kigali (Rwanda).
C’est en juillet 2018 qu’il a découvert la Suisse pour intégrer le programme estival de préparation aux Mondiaux juniors de septembre. «L’idée est d’offrir l’opportunité à de jeunes coureurs talentueux de rejoindre l’Europe, où se déroulent les épreuves du calendrier World Tour, pour qu’ils développent leurs capacités et leur expérience, explique Jean-Jacques Henry, entraîneur du centre de formation de l’UCI. Peu d’équipes prennent le risque d’engager ces espoirs qui ne vont pas forcément briller au niveau professionnel. Nous avons l’avantage de n’avoir aucune logique commerciale, seulement l’idée de les former.»
D’autres coureurs Érythréens tels que Daniel Teklehaimanot (qui a porté le maillot à pois sur le Tour de France), Meraki Kudus ou Natnael Berhane sont passés par Aigle pour dévoiler à l’Europe leurs qualités. Ou encore un certain Chris Froome, qui a rejoint Aigle en 2007 en provenance du Kenya.
Jamais stressé
Jean-Jacques Henry a été chargé de combler les manques de Biniam Girmay en termes technique et tactique de course lors de son arrivée à Aigle. Il se souvient d’un jeune homme «réservé, humble, toujours souriant et aimable.» Mais aussi d’un athlète très attentif et jamais stressé. «C’est un trait de caractère commun aux cyclistes érythréens, qui ne semblent pas connaître ce concept, sourit le coach. Ne pas avoir peur de la défaite est un atout pour un sportif de haut niveau.»
Le jeune cycliste s’est très vite mis en évidence en terminant 2e du Grand Prix Rüebliland et 3e de la course de côte Martigny-Mauvoisin junior lors de son arrivée en Suisse. «C’est un coureur très intelligent, qui analyse parfaitement les situations et comprend vite, observe le coach français. Il appliquait une consigne directement lors de la course suivante, ce qui lui a permis d’évoluer aussi rapidement et de devenir un coureur de classe mondiale en peu de temps!»
Le cycliste érythréen a prolongé son séjour à Aigle malgré des offres d’équipes (dont la Groupama-FDJ pour son équipe réserve), avant de signer chez les Marseillais de Delko où il a décroché son premier contrat pro en 2020. «Delko a cette fibre éducative et cela est bénéfique pour un jeune coureur africain qu’il faut continuer à former, explique son ancien mentor. Pareil pour Intermarché-Wanty Gobert, qui est allé le chercher en 2021 et qui fait du très bon travail avec lui.»
Un sprinter complet
Jean-Jacques Henry n’a pas été complètement surpris par la victoire de Biniam Girmay à Gand-Wevelgem, au terme d’un sprint remporté face à trois rivaux dont le Français Christophe Laporte (2e). «Je dois avouer que je le voyais plutôt gagner dans deux ou trois ans et pas forcément à 21 ans, souligne-t-il. Et puis il nous avait toujours dit qu’il n’aimait pas les pavés, il a dû apprendre à les apprivoiser avec son équipe belge. Désormais, il a pris confiance et va pouvoir s’imposer sur n’importe quelle course sur pavés.»
Vice-champion du monde U23 l’an passé au terme d’un sprint plein d’agilité, Biniam Girmay est retourné en Erythrée retrouver sa femme et son fils, qu’il n’a pas revus depuis trois mois. Il devrait disputer le Giro mais pas le Tour de Romandie, dont les deux dernières étapes s’élanceront pourtant d’Aigle.
«Il est encore jeune, on le verra prochainement sur le Romandie, sourit Jean-Jacques Henry. En plus de pouvoir s’imposer sur des sprints massifs, il est capable de passer les bosses de 3 ou 4 kilomètres, ce qui lui donne un avantage sur les purs sprinters. Avec son rapport poids puissance, je le vois bien gagner un Paris-Roubaix ou un Tour des Flandres dans le futur!»