FootballArtur Jorge, une légende portugaise
L’ancien entraîneur emblématique était plus qu’un «simple» entraîneur de football. Au Portugal, il laissera le souvenir d’un homme ouvert sur le monde et les arts.
- par
- Robin Carrel - Lisbonne
Une fois la nouvelle de la disparition d’Artur Jorge connue, jeudi, sur la route du Stade José Alvalade, on est allé prendre la température des jeunes Lisboètes sur le sujet. Parce que si l’éphémère coach de l’équipe de Suisse – et dont le dernier match international était contre… la Suisse en 1977 – était né à Porto juste après la IIe Guerre Mondiale, c’est bien dans la capitale portugaise qu’il s’est éteint cette semaine. Il avait aussi joué sept ans au Benfica et entraîné une année les Aigles.
L’homme avait quand même joué, au cours de sa vie, 16 fois pour le Portugal et entraîné son pays à deux reprises. Mais depuis 2007 et une ultime présence sur le banc à Créteil, près du Paris qu’il aimait tant (deux ans au Matra Racing et trois + une saison au PSG), il avait juste réalisé une pige à Alger il y a un peu plus de dix ans. Le point final d’une carrière absolument folle, où le football n’avait pas toujours été tout.
En direction du match Sporting-YB donc, on a croisé un petit terrain de foot où des jeunes bataillaient et criaient fort. On les a dérangés pour savoir ce qu’ils gardaient de l’un des plus grands coaches d’un pays qui en a produit des wagons. On ne va pas vous le cacher, c’était compliqué. Parce que si, dans le coin, la jeunesse maîtrise généralement très très bien l’anglais et que grâce à ça on arrive à se comprendre, l’articulation des noms portugais est compliquée pour le touriste. Très compliquée!
Ne riez pas: essayez de dire «Artur Jorge» avec l’accent portugais devant votre smartphone avec votre bouche de francophone et vous verrez si c’est simple! Bref, au bout de quelques minutes où ces sympathiques jeunes footballeurs sont passés du rire aux larmes et retour, ils ont fini par comprendre où on essayait d’en venir et c’est assez bien tombé, car ils s’apprêtaient à quitter la surface synthétique pour une terrasse en dur et aller voir Benfica se qualifier par les poils à Toulouse en Europa League.
Après, sur le fond de l’affaire, le nom d’Artur Jorge et sa disparition ne les ont pas fondamentalement bouleversés. Pour beaucoup, ce patronyme a surtout rappelé ce que leurs géniteurs respectifs – voire leurs grands-pères, qui leur ont transmis le Benfiquisme tout petits, ont raconté autour des matches devant la télévision., en famille. L’impression d’une période dorée, où l’ancien attaquant empilait les buts et son équipe les titres nationaux. Comme coach, il était surtout marqué FC Porto sur sa moustache.
Plus loin, en salle de presse dans les entrailles de José Alvalade, la discussion est plus simple avec les journalistes locaux sur le sujet. Ici, la polémique helvético-suisse des non-sélections d’Adrian Knup et d’Alain Sutter pour l’Euro 96 ne fait pas vriller grand monde autant que moi. Et les souvenirs autour du «Rei Artur» s’éloignent bien vite du rectangle vert. Car, comme souvent au Portugal, les immenses coaches locaux pensent et réfléchissent bien au-delà du football. C’est aussi ce qui fait leur talent.
«J’ai encore regardé cet après-midi un reportage sur le site des archives de la RTP, nous a expliqué un reporter en attaquant allégrement le plat de madeleines mis à disposition des journalistes, avant d’essayer de nous envoyer des numéros de téléphone de certains de ses anciens joueurs. Artur Jorge n’y parlait pas de football. Surtout pas. Il évoquait sa collection de tableaux, la littérature, l’histoire… Mais aussi la danse!»
Le Portuan a même sorti son propre recueil de poésie. Il est d’ailleurs encore trouvable sur les internets pour la modique somme de 25 euros. Ouvert au monde, il a réussi le grand écart entre jouer à Rochester, aux États-Unis, à la fin de sa carrière et aller se former ensuite à Leipzig, alors en Allemagne de l’Est. Rien que ça, c’est fort.
De la «Madjer» inscrite par… Rabah Madjer en finale de la Coupe des Champions en 1987 – gagnée 2-1 par Porto contre le Bayern Munich – à des poèmes, il n’y a finalement qu’un pas. Artur Jorge est un magnifique pont entre toutes ces cultures qui illustrent bien son pays fou de foot.
Le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa a d’ailleurs rendu hommage au «parcours d’entraîneur de football» d’Artur Jorge. Il aurait tout aussi bien pu parler simplement de son parcours de vie bien remplie. Olà, l’artiste!