Roland-Garros 2023Humeur: Fritz conspué, c’est grave?
Taylor Fritz, d’abord provoqué, puis provocant, a été conspué après sa victoire jeudi soir face au Français Arthur Rinderknech. C’est grave, docteur? Vraiment?
- par
- Daniel Visentini Paris
L’ascendance dicte l’étiquette. Longtemps affaire des nobles, hérité d’une aristocratie attachée à son protocole, le tennis est ce sport où l’on file droit, dans la politesse la plus parfaite, bien sûr. On n’est pas au football! Ici, on sait se tenir, on n’est pas des sauvages, non mais! Cela vaut pour les joueurs. Pour le public aussi. Alors, quand tout un stade conspue un vainqueur, le siffle, le hue, c’est pour beaucoup un crime de lèse-majesté. Cela ne se fait pas, il faut condamner immédiatement, dans un acte de contrition, ce comportement qui déshonore l’étiquette. Sérieux?
Que s’est-il passé au juste? D’abord, avant les sifflets, il y a un passif. C’est le match lui-même. Jeudi soir, le brave Taylor Fritz avait le malheur d’affronter Arthur Rinderknech. Un Français. Les performances du tennis tricolore étant ce qu’elles sont à Roland-Garros, une ferveur du désespoir enflait dans les travées du court Suzanne-Lenglen. Et cela a conduit certains à siffler l’Américain, ou à applaudir ses balles manquées. C’est n’est pas beau, c’est vrai. C’est dégoulinant de chauvinisme. Cela ressemble au football, quand les supporters sifflent un joueur qui va tirer un penalty, se moquent d’un tir adverse qui file dans les décors, ou quand les adversaires sont conspués à leur arrivée sur le terrain. C’est tout ce que le tennis ne veut pas, bien sûr, par atavisme. Ou alors c’est ce qui n’existe que lors des rencontres de Coupe Davis, le seul moment où il ose s’en accommoder. Mais est-ce foncièrement grave?
Talyor Fritz a vécu avec tout cela. À la fin, quand il s’est imposé, il a donc envoyé son message en retour: l’index sur la bouche, pour mimer un «chut» magistral. La réponse du berger à la bergère. Évidemment, les sifflets ont redoublé, les cris, les huées. L’air narquois, l’Américain attendait d’être interviewé par Marion Bartoli, comme c’est la coutume pour le vainqueur après chaque match.
Devant le concert de sifflets, Fritz a juste pu lâcher, dans une douce ironie: «Le public était tellement super à me pousser, je voulais bien m’assurer que j’avais gagné. Je vous aime les gars». Et puis il a filé dans le vestiaire. Filmé dans le couloir, on le voit là encore avec le doigt sur la bouche, goguenard.
C’est de bonne guerre. Il n’a sans doute pas du tout apprécié le traitement qui lui a été réservé, mais Fritz ne semblait pas plus traumatisé que ça. Faut-il vraiment l’être pour lui? Peut-être que la leçon est là. Le tennis a le droit de vivre avec ses émotions. Même si elle sont parfois un peu troubles.