Commentaire: Le livre de Pierre-Alain Fridez et l’avenir du F-35

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CommentaireLe livre de Pierre-Alain Fridez et l’avenir du F-35

Selon le conseiller national, l’achat de l’avion de combat a été choisi par Armasuisse à la barbe du Conseil fédéral. Seul un vote populaire pourrait réparer cela.

Eric Felley
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Eric Felley
Avions de combat F-35A. Lockheed Martin, dans le viseur du conseiller national Pierre-Alain Fridez

Avions de combat F-35A. Lockheed Martin, dans le viseur du conseiller national Pierre-Alain Fridez

DDPS/PS

Il est plutôt rare qu’un conseiller national écrive un livre de combat de cette ampleur. «Le choix du F-35: erreur grossière ou scandale d’État?» Tel est le titre des 250 pages que Pierre-Alain Fridez (PS/JU) consacre aux circonstances de l’achat de l’avion de combat américain. À l’aide d’éléments plus ou moins connus, il y fait la démonstration détaillée que l’achat du F-35 a été biaisée lors de son évaluation par la méthode choisie, par des critères non transparents, par un rabais d’heures de vol et finalement par un avis de droit, qui empêchait le Conseil fédéral d’en choisir un autre.

Un avis de droit opportun

Du point de vue institutionnel, l’élément le plus gênant est que le Conseil fédéral n’a pas eu le choix. Le F-35 arrivait nettement en tête du processus d’évaluation avec 336 points, soit 95 de plus que le deuxième avion. Le 28 juin 2021, deux jours avant la décision du Conseil fédéral, un avis de droit de l’Office fédéral de la justice est tombé à point pour rappeler que, dans le cadre de ce marché public, le Conseil fédéral ne pourrait avancer des arguments géopolitiques que si les offres présentaient une certaine équivalence (3%). Avec 95 points de plus et une économie de 2 milliards de francs, l’avantage du F-35 était si net, que la question ne se posait même plus pour le Conseil fédéral.

Une «main invisible»

Selon Pierre-Alain Fridez, le choix a été effectué par un petit groupe d’experts au sein d’Armasuisse, dont l’objectif était dès le départ de favoriser le F-35. Tout au long de sa démonstration, il avance ses pions qui font douter de l’indépendance de ce petit groupe. Sans pouvoir y répondre de manière catégorique, il surfe sur une question lancinante: des gens ont-ils été corrompus lors de cette procédure d’acquisition? Dans ce processus grandement opaque, il ne parvient évidemment pas à établir de liens entre le fabricant Lockheed Martin et les experts. Il parle alors d’une «main invisible».

Rapport de force

À la question qu’il pose dans son titre, il répond par l’affirmative: «c’est une erreur grossière et un scandale d’État». Mais un livre peut-il changer le cours des choses à Berne? Pris isolément, non. Le défaut de son ouvrage est la place de son auteur dans le microcosme politique bernois. Que peut faire le médecin socialiste jurassien, milicien féru d’aéronautique, face aux partisans de l’ombre du F-35? Le rapport de force n’est pas de son côté. Une alternative plausible serait qu’une autre «main invisible» vienne contrer la première.

Initiative validée

L’initiative qui vient d’être déposée peut, elle, changer le cours des choses. La Chancellerie fédérale a validé lundi l’initiative Stop F-35 avec 102 664 signatures. Pour les initiants, la balle est dans le camp du Conseil fédéral qui devrait faire rapidement bouger les choses afin de permettre une votation le 12 mars 2023, soit avant le délai de signature du contrat avec Lockheed Martin le 31 mars suivant. Ce serait l’occasion pour le Conseil fédéral d’avoir la discussion qu’il n’a pas pu avoir autour de l’avion à cause du fameux avis de droit.

Que va faire Viola Amherd?

Mais le calendrier paraît serré. Le Conseil fédéral devrait livrer un message au Parlement pour la session de septembre, qui commence le 12. Selon la loi, un objet soumis au vote doit être annoncé quatre mois à l’avance. L’initiative devrait donc être mise au programme le 9 novembre au plus tard. Que va faire Viola Amherd? Au début, elle était favorable à un vote populaire, mais depuis la guerre en Ukraine, elle ne l’est plus. Le Parlement devra se prononcer aussi et la droite a montré jusqu’ici qu’elle était unie derrière l’achat du F-35.

En attendant le dernier rapport

À Berne, il est assez peu probable que la lecture du livre de leur collègue ébranle la détermination des parlementaires bourgeois. Cependant, tout n’est pas joué pour le F-35. Le Contrôle fédéral des finances a déjà publié le 8 juillet un rapport assez critique sur les conditions financières de son achat, qu’Armasuisse n’a pas du tout apprécié. Enfin, tout le monde attend à Berne le rapport de la Commission de gestion du national, qui a lancé sa propre enquête sur le choix du F-35. Il pourrait réserver encore quelques surprises dans ce dossier.

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