Bande dessinéeL’incroyable découverte d’un chevalier perdu de la Table ronde
Un jeune médiéviste a retrouvé dans des archives, notamment à Genève, Ségurant, un héros populaire au Moyen Âge mais qui avait disparu. Il en a fait un roman et une BD.
- par
- Michel Pralong
C’est une histoire folle, à tel point qu’on pourrait presque douter de sa véracité. Comment un chercheur de 22 ans a-t-il pu trouver par hasard dans un vieux manuscrit la trace d’un chevalier de la Table ronde, oublié de tous? C’est pourtant ce qu’a fait Emanuele Arioli, médiéviste franco-italien, âgé aujourd’hui de 35 ans. Comme les chevaliers d’Arthur, il a sillonné pendant 10 ans l’Europe à la recherche de son Graal à lui, d’autres fragments de l’histoire de ce héros oublié, Ségurant, le chevalier au dragon.
Il est parvenu à découvrir en tout 28 extraits mentionnant ce personnage, qu’il a remis dans l’ordre pour en faire un roman inachevé. Il a publié les textes écrits en vieux français et leur traduction, réservés aux spécialistes. Mais il a également voulu toucher le grand public. Sort ce 6 octobre le roman vulgarisé «Ségurant le chevalier au dragon» (Éd. Les Belles Lettres), ainsi qu’une BD, «Le chevalier au dragon», où Emanuele Arioli a laissé parler son imagination pour réécrire l’histoire et lui imaginer une fin. L’auteur et scientifique était de passage à Genève pour présenter son travail, accompagné de Nicolas Ducimetière, vice-directeur de la Fondation Martin Bodmer, à Cologny, qui a pu nous confirmer que la trouvaille de ces manuscrits disparus était tout à fait réelle.
Un ouvrage ayant appartenu à Richelieu
«Emanuele Arioli a d’ailleurs trouvé deux extraits mentionnant Ségurant dans nos documents, explique Nicolas Ducimetière. Ces passages se trouvaient dans «Les prophéties de Merlin» et «Gyron le courtois», des ouvrages qu’un spécialiste avait consulté il y a quelques années, mais sans réagir s’il l’a vu au nom de Ségurant qui y apparaissait».
«Ce nom, je l’avais donc découvert pour la première fois à la bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, dans un exemplaire des «Prophéties de Merlin» qui avait appartenu à Richelieu, nous raconte Emanuele Arioli. Quand j’ai vu ce chevalier inconnu, je me suis dit que je tenais quelque chose de gros et j’ai donc lu des milliers de manuscrits parlant des chevaliers de la table ronde à travers toute l’Europe.»
Il faut savoir que les récits autour du roi Arthur et de Merlin, qui appartenaient à la tradition orale dès le VIe siècle, deviennent des romans en vers au XIIe siècle puis des récits en prose au XIIIe siècle. Cet univers est enrichi par des multiples auteurs, avec des récits rassemblés parfois en compilation, sorte de «best of» pour des lecteurs qui les préféraient à de longs romans. De même, comme on le fait aujourd’hui par exemple pour «Star Wars», de nombreuses séries dérivées en sont tirées.
Le meilleur des chevaliers
«C’est certainement le cas de Ségurant, qui a dû être écrit en Italie en français, dit Arioli. Il est présenté comme le meilleur des chevaliers de la Table ronde, puisqu’il les bat tous en duel». Mais comment se fait-il alors que les récits précédents ne le mentionnent pas? Son auteur a trouvé l’astuce: il imagine la fée Morgane lui envoyer un dragon et le chevalier envoûté va passer sa vie à le poursuivre, disparaissant de la cour royale. Morgane aura beau jeu de dire à Arthur que ce Ségurant n’a jamais existé, qu’il n’est qu’une illusion. Ce qui permet de ne pas bouleverser la légende arthurienne.
L’un des récits précise que le seul moyen pour Ségurant de se désenvoûter et de trouver… le Graal, bien sûr. Mais le chercheur n’a jamais pu trouver un récit de cette quête, soit parce qu’elle n’a jamais été écrite, soit parce que le texte a disparu. Vu tout de même les 28 extraits retrouvés, cela suggère que l’histoire de Ségurant a dû être populaire il y a quelques siècles. Pour expliquer, du moins en partie, son oubli, Emanuele Arioli rappelle que «Les prophéties de Merlin» ont été condamnées et brûlées par l’Église catholique et les textes parlant de Ségurant ont pu subir le même sort.
Il a tout fouillé
Pour la BD, à qui il a confié le dessin à l’artiste italien Emiliano Tanzillo (qui fait un travail remarquable mêlant douceur et humour à des passages saisissants), Emanuele Arioli a donc décidé de raconter cette fin avec le Graal. Il change beaucoup l’histoire originale. Et quand on lui dit que l’épreuve du jeu d’échecs à taille humaine dans un château, il l’a piquée à Harry Potter, il répond: «Non, elle existe dans un autre roman arthurien. Cela doit donc plutôt être J. K. Rowling qui s’en est inspirée dans les aventures de son sorcier».
L’aventure ne s’arrête pas avec la BD. Un livre pour enfants, «Ségurant le chevalier au dragon» sortira en novembre au Seuil Jeunesse, Emanuele Arioli, avec le même dessinateur, y raconte à la fois l’histoire originale trouvée dans les manuscrits, mais également comment il a mené ses recherches. Ce n’est pas tout: Arte diffusera le 25 novembre un documentaire sur la quête d’Emanuele Arioli. Ce dernier rêve maintenant d’un dessin animé ou d’une série qui raconteraient les aventures de Ségurant.
Mais espère-t-il trouver encore d’autres extraits de cette légende? «Je crois que j’ai fouillé presque toutes les archives consultables. Il reste les collections privées et peut-être que la médiatisation du nom de Ségurant rappellera à certains l’avoir vu mentionné dans tel ou tel récit.
Dédicaces de la BD «Le chevalier au dragon» par ses auteurs chez Payot Rive Gauche à Genève, le 19 octobre de 17 h 30 à 19 heures.
Ce même 19 octobre, la Société littéraire de Genève organise un dîner conférence avec Emanuele Arioli au restaurant La Mère Royaume dès 19 heures, avec projection d’extraits du documentaire d’Arte.