Hockey sur glaceGenoni et Berra, concurrents complices au service de la nation
Au cours d’une interview croisée, les deux portiers emblématiques de l’équipe de Suisse sont longuement revenus sur leur relation commune, leur futur personnel et celui du poste de gardien en National League.


Leonardo Genoni a remporté la médaille d’argent en 2018, alors que Reto Berra compte deux titres de vice-champion du monde.
Claudio Thoma/freshfocusQui dit équipe de Suisse dit forcément Leonardo Genoni (34 ans) et Reto Berra (35 ans). Depuis 2011, jamais un tournoi mondial ne s’est déroulé sans le gardien de l’EV Zoug ou celui de FR Gottéron. Piliers de la sélection à croix blanche, le premier nommé dispute, cette année en Finlande, son huitième Championnat du monde, alors que le second peut désormais se targuer d’avoir atteint la barre symbolique des dix participations.
C’est donc peu dire que les deux emblématiques portiers possèdent une certaine expérience du plus haut niveau. Mais aussi des médias. Car lorsque les deux compères ont pris place dans le salon de leur hôtel d’Helsinki pour évoquer, entre autres, leur relation, ils ont directement plaisanté. «C’est quand même marrant: cette question revient chaque année!» se marre Leonardo Genoni. «Du coup, les mêmes réponses également», embraie Reto Berra.
Complices malgré la concurrence qui les oppose, les deux hommes, détendus et d’humeur taquine, nous ont accordé une vingtaine de minutes de leur temps entre deux matches du Championnat du monde. Interview.
Leonardo Genoni et Reto Berra, ça fait plus de 20 ans que vos noms sont associés. La question qui va suivre n’est pas originale selon vous, mais quels rapports entretenez-vous ensemble?
Genoni: Non, plus sérieusement, on apprécie toujours autant de jouer ensemble. Étant donné que notre chemin commun remonte à bien des années, on se connaît bien et on sait comment s’aider.
Berra: On s’apprécie, on s’aide mutuellement et on se pousse vers le haut. Mais c’est vrai qu’on se connaît vraiment bien depuis le temps.
Si cette thématique revient chaque année, c’est parce que vos parcours sont singuliers. Vous avez été coéquipiers dès la saison 2001/2002 au sein des juniors des Zurich Lions. Puis vous avez rejoint le HC Davos en même temps, en 2007/2008. Vous avez également commencé à partager la cage de l’équipe de Suisse dès l’exercice 2010/2011. Était-ce une volonté de vous suivre partout?
Berra: Non, évidemment pas. Mais c’est marrant car quand on avait 20 ans, il a signé à Davos. Et comme je ne voulais pas rester sans lui, j’ai aussi signé là-bas (rires).
Genoni: C’est sûr qu’en club, on a dû à un moment donné prendre des chemins différents car on ne pouvait pas jouer en même temps. Du coup, c’est plaisant de revenir ensemble en équipe de Suisse.
En équipe de Suisse, une alternance entre vous deux a été instaurée. Mais Patrick Fischer a régulièrement titularisé Leonardo Genoni pour les matches couperets. Comment gère-t-on les égos dans ces cas-là?
Berra: Pour moi, ce n’était pas forcément une déception. Je sais que lorsque je vais en équipe de Suisse, il y a tous les meilleurs joueurs du pays. Je ne m’attends pas au même traitement qu’en club. Le scénario est différent et le coach prend ses décisions. Chaque année, je sais que je vais retrouver les meilleurs joueurs, mais aussi les meilleurs gardiens. La situation est différente qu’en club. J’aimerais évidemment toujours jouer, mais je respecte les choix du coach.
Genoni: Pour moi, il faut toujours mettre l’intérêt de l’équipe en premier lieu. On ne prend pas les décisions, contrairement au coach qui décide qui va jouer. Dans le sport, il faut toujours respecter les choix de l’entraîneur. Car ce dernier essaie toujours de faire de son mieux. En tant que gardien, on sait qu’on ne disputera pas tous les matches durant un tournoi mondial. On sait qu’il y aura des changements.

Reto Berra remplaçant, Leonardo Genoni titulaire: une image qui revient régulièrement en équipe de Suisse.
Andy Mueller/freshfocusLeonardo Genoni, c’est donc à vous que revient l’honneur de jouer les matches importants en sélection. Pourtant, c’est Reto Berra qui compte 76 apparitions en NHL. Comment l’expliquez-vous? Peut-on dire que la balance est favorable pour les deux?
Genoni: Une carrière, c’est un long voyage. Il a pris sa propre voie et a su saisir cette opportunité. Quant à moi, mon chemin m’a fait rester en Suisse. La vie est différente pour tout le monde, les carrières sportives aussi. Je suis très content pour lui qu’il ait pu jouer en NHL, autant que lui est heureux pour moi pour mon parcours en National League.
Berra: Il y a un ou deux ans, on m’avait demandé si j’aimerais échanger nos deux carrières si j’en avais la possibilité. Mais je ne crois pas. Chacun suit son propre chemin. Je suis heureux de voir qu’il est devenu une légende en Suisse avec tous ses titres. De mon côté, j’ai aimé mes années loin de la Suisse. Elles m’ont permis de m’ouvrir à d’autres perspectives et de jouer des matches à l’étranger.
Vous avez tous deux réussi de belles carrières, dans des styles différents. Du coup, quels aspects du jeu de l’autre appréciez-vous le plus?
Berra: J’ai toujours été impressionné par sa capacité à lire le jeu. Cette qualité, il l’a d’ailleurs toujours eue. Et c’est certainement pour ça qu’il est si bon.
Genoni: J’aimerais dire sa taille, mais c’est davantage une qualité humaine qu’une qualité de gardien (rires). Non, je le connais depuis très longtemps et je l’apprécie vraiment beaucoup tant sur la glace qu’en dehors. Notre plus grande différence est évidemment notre taille.
Berra: Et comme vous l’avez dit, on a deux styles de jeu complètement différents.
Leonardo Genoni et Reto Berra, vous avez désormais 34 et 35 ans. Est-ce que vous disputez l’un de vos derniers Championnats du monde? Comment voyez-vous la suite de votre carrière internationale?
Berra: Pour l’instant, je ne me suis jamais posé cette question. Pour moi, c’est un honneur d’avoir la chance d’être appelé par le coaching staff. Tant que ce dernier me choisira, je me rendrai avec plaisir en équipe de Suisse. Mais je ne regarde pas trop loin. On est ici aujourd’hui, on se focalise sur ce tournoi mondial avec la volonté d’être aussi bons que possible.
Genoni: Pour moi, c’est exactement pareil. Tant que mes performances sont bonnes et me permettent de venir en sélection, tant que le coach me veut, alors je viendrai. Je ne fais pas de plan par rapport à mon âge. Pour l’heure, je me sens toujours en forme.

Patrick Fischer devrait pouvoir compter sur Reto Berra et Leonardo Genoni encore quelques années.
Claudio Thoma/freshfocusRassurez-vous, nous ne sommes pas pressés de vous voir arrêter. Mais le jour où vous partirez, pensez-vous que la relève sera à la hauteur?
Genoni: Une chose est sûre, la situation est actuellement en train de changer avec les nouvelles règles concernant le nombre de joueurs importés autorisés en National League. Personnellement, cette évolution me fait peur. Il est clair que ce n’est pas facile de se développer avec un nombre élevé de joueurs étrangers autorisés dans la Ligue. D’ailleurs, de nombreux clubs vont faire appel à des gardiens étrangers. La situation est comme ça. Je pense que cette dernière peut aussi être une chance pour les jeunes gardiens suisses car ils vont devoir travailler davantage. La Ligue a pris cette décision, on verra ce que ça va donner. Il faut toutefois reconnaître que pour Reto et moi, cette décision ne change pas grand-chose. On est bien installés dans nos clubs et on fera tout notre possible pour jouer le plus longtemps possible. On va évidemment essayer d’aider les autres gardiens à se développer en étant en compétition directe avec eux durant le match. Ça doit être une motivation suffisante pour eux pour essayer d’être meilleurs. Tout le monde serait ainsi gagnant avec cette situation.
Berra: Le fait qu’il y ait davantage d’étrangers autorisés en National League sera effectivement un grand challenge pour les gardiens suisses. On va essayer de continuer à s’améliorer afin d’être encore meilleur, et surtout être meilleur que les portiers étrangers. La situation est difficile pour les jeunes gardiens. Avec Leonardo, on avait été chanceux à l’époque de pouvoir jouer directement avec Davos. On avait su saisir cette opportunité. La situation actuelle est compliquée car les équipes sont sous pression, le General Manager aussi. Ils n’ont donc pas le temps de développer les gardiens et voir comment ces derniers se comportent. Ils ont besoin d’avoir des résultats immédiats. C’est dur, mais c’est effectivement aussi un beau challenge pour les jeunes de devenir très bons.
Vous évoquez votre passage à Davos. Vous n’aviez tous les deux que 20 ans lorsqu’Arno Del Curto vous a lancés dans le grand bain…
Genoni: (il coupe) Je pense qu’il faut arrêter de parler d’âge. Il s’agit simplement d’une question de niveau. Soit le gardien est bon, soit il n’est pas si bon. Je pense que c’est aux jeunes de montrer qu’ils sont assez bons pour jouer. Les caractéristiques d’un gardien ne devraient pas être réduites à son âge ou à son passeport. S’il est Suisse, alors il devrait travailler dur pour rejoindre puis pour s’établir en National League.

Leonardo Genoni remporte le premier de ses sept titres de champion suisse en 2008/2009. Reto Berra n’en a pas gagné d’autre.
Michael Zanghellini/freshfocusAvant de vous libérer, évoquons le Championnat du monde. Vous avez tous deux vécu l’épopée suisse de 2018. Elle s’était achevée cruellement pour vous avec cette défaite en finale aux tirs au but. Êtes-vous toujours habités par un sentiment de revanche?
Berra: Évidemment qu’on aimerait retourner en finale, mais c’est le cas de tout le monde. Toutes les équipes présentes ici veulent gagner et c’est aussi notre cas. Pour l’heure, on est encore très loin de la finale. Mais pour répondre à votre question, évidemment qu’on a envie de gagner.
Et si ça devait déboucher sur un autre métal que l’or espéré, est-ce que vous seriez tout de même contents?
Genoni: À chaque fois qu’on se rend à un Championnat du monde, c’est pour gagner. Mais, vous savez, c’est compliqué de parler de quelque chose qui demeure encore loin.
Berra: Tellement loin! D’ailleurs, pour nous les athlètes, c’est toujours compliqué d’évoquer de telles choses alors qu’on se trouve en plein milieu du tournoi.
Genoni: Il reste encore beaucoup de matches avant de s’offrir la possibilité de jouer pour une médaille. Surtout qu’en quarts de finale contre les États-Unis, ce sera tout ou rien.
Berra: C’est pourquoi il faut vraiment y aller étape par étape dans ce genre de tournoi. Ce qui est vrai en revanche, et c’est quelque chose de nouveau pour nous, c’est qu’on peut désormais remporter une médaille et ne pas être contents.