Valais: Matricide dans un molok: «La police m’a appris le décès de maman» 

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ValaisMatricide dans un molok: «La police m’a appris le décès de maman»

Accusée d’avoir tué sa mère de 81 ans en octobre 2017 à Haute-Nendaz (VS), la fille de la victime a comparu ce lundi devant la justice à Sion. Elle clame son innocence.

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri

3000 pages de dossier d’instruction. Quatre ans et demi pour que l’acte d’accusation accablant du procureur Ludovic Schmied soit finalisé. Cinq ans avant d’arriver au procès. Et trois petites heures d’audience. La célérité de la justice en prend un coup. La personnalité complexe – diagnostiquée schizophrène depuis 2013 – en serait la raison. Trois expertises psychiatriques ont été nécessaires pour cerner le personnage et retenir une responsabilité pénale largement, voire fortement, diminuée. Ce lundi, la Lausannoise de 56 ans répondait d’assassinat, subsidiairement de meurtre, et de tentative d’assassinat, subsidiairement de tentative de meurtre, devant le Tribunal des districts d’Hérens et Conthey à Sion.

Allégations balayées

En détention provisoire depuis le 23 octobre 2017, elle est accusée d’avoir empoisonné (ndlr. doses non létales) sa mère de 81 ans avec de la mort-aux-rats, de lui avoir infligé de nombreuses lésions traumatiques contondantes et de l’avoir achevée à coups de casserole sur le crâne et sur les cervicales. La quinquagénaire s’en serait ensuite débarrassée en la dissimulant dans deux sacs-poubelle de 110 litres et en l’abandonnant les jambes coincées dans le molok de l’immeuble de la station où les deux Vaudoises passaient des vacances. Toutes ces allégations, la prévenue les balaie. Posément, elle répète, beaucoup, lorsque le président Valentin Rétornaz l’interroge. Elle est un peu en boucle, mais collaborante. Elle répond très souvent au présent.  

«Je n’étais pas au village quand c’est arrivé»

La fille de l’octogénaire

«La police m’a appris le décès de maman le 23 octobre 2017 – le décès remonte au plus tard au soir du 21 –J’étais à son domicile de Pully. J’ai été interrogée. J’attendais son retour à la maison. Je suis en attente depuis cinq ans, voilà, explique-t-elle à la Cour. Ce qui est arrivé, je ne le sais pas. Je n’étais pas au village (ndlr. à Haute-Nendaz) quand c’est arrivé. Le rapport de police, je l’ai lu. Il explique les circonstances de sa mort.» L’assistance peine un peu face à ce qui s’apparente à du déni, tellement les preuves ADN, techniques, forensiques, etc, sont écrasantes. Celle qui a affirmé durant près d’une année après les faits qu’elle vivait en Alsace et déclinait une autre identité que la sienne, ne se démonte pas une seconde.

Octogénaire étouffante?

Les deux femmes vivaient une relation exclusive même si chacune avait son chez-soi: la défunte à Pully près du lac, la fille à Chailly sur les hauts de Lausanne. Elles dormaient même ensemble. Et quand elles n’étaient pas réunies, elles s’appelaient jusqu’à 20 fois par jour. Est-ce que cette proximité et ce huis clos perpétuel seraient un début de mobile? L’accusée avait promis de prendre soin de sa mère sur le lit de mort de son père. Elle l’a fait, devenue son aide de ménage. L’octogénaire est-elle devenue par trop envahissante, étouffante? Cela provoquait-il des disputes? Celle-là même que des voisins du studio occupé par ces deux inconnues ont entendue les jours précédant la macabre découverte? «Des disputes, pas spécialement. Il n’y avait pas de tensions», insiste la prévenue.   

«La mort-aux-rats, c’était pour les insectes»

La fille de l’octogénaire

La mort-aux-rats achetée dans une pharmacie du village. «C’était pour venir à bout des insectes. Il sortait de l’évier de la cuisine. Ils étaient dans les assiettes, je les entendais marcher sur le papier, puis ils étaient dans la salle de bains. Il me fallait un produit fort. Je n’ai pas osé en parler à l’agence ou au propriétaire pour ne pas le vexer et lui dire que son studio était insalubre», ajoute la quinquagénaire dont le logement, comme celui de sa maman, était très encombré. Les experts parlent du syndrome de Diogène (ndlr. incapacité à jeter et manque d’hygiène). «Je ne voulais pas faire de la mauvaise publicité à la station. C’est pour cela que je l’ai fait discrètement», se justifie-t-elle.

Président zen

Sonnant comme un reproche venant de celle qui doit rendre des comptes: «Je suis déçue que l’on m’accuse d’un acte grave, d’un assassinat. Je n’ai pas tué ma maman en octobre 2017». Et la fameuse valise rouge qui aurait servi à transporter le corps ainsi que l’attestent des témoins? «Je ne sais pas de quoi vous parlez, je ne suis pas au courant, on avait chacune une valise.» Les sacs-poubelle? «On en avait des petits et des moyens, vous parlez des 35 litres, il n’y a pas de taxe en Valais.» La casserole mortelle et cabossée à en perdre son manche? «Elle n’était pas cabossée, c’est moi qui faisais la cuisine.» Fin de l’interrogatoire du président de céans dont la patience et la zénitude sont à relever. 

«Quoi de pire que d’ôter la vie à celle qui vous l’a donnée?»

Le procureur Ludovic Schmied

«M. le procureur, des questions?» questionne le président Rétornaz: «Non». Maître? «Non». Le parquet valaisan a suffisamment dans son escarcelle pour ne pas mitrailler la Vaudoise et la défense réserve son énergie pour sa plaidoirie. La parole est au procureur: «Le dossier de ce jour pourrait sans conteste faire l’objet d’un roman de mon éminent collègue neuchâtelois (ndlr. le procureur-écrivain Nicolas Feuz): un cadavre, un auteur à personnalité complexe, des liens de sang, de la violence, de la haine. Un scénario complet, sauf que ce n’est pas de la fiction. La mort d’une maman en état de dépendance. Un matricide. Quoi de pire que d’ôter la vie à celle qui vous l’a donnée?» Et le magistrat de passer en revue le tableau lésionnel de la défunte.

«Tel un vulgaire déchet»

«Onze coups sur le haut du corps et la tête. Imaginez-vous la haine en visant uniquement la tête, les autres lésions contondantes, l’empoisonnement… Une volonté de faire disparaître sa victime. Le nettoyage de la scène de crime. Cette femme traînée très probablement dans la valise tel un vulgaire déchet. Elle réfute. Toute la nuit, elle a attendu le bus qu’elle avait raté à Nendaz.» Ludovic Schmied persiste: «Comment expliquer les profils ADN ou les traces papillaires (empreintes digitales) sur un sac orange, sur les sacs-poubelle, sur les anses du bol contenant de la mort-aux-rats, sur le corps ou les membres de l’octogénaire, ce même poison dans son sang et sa bile, des fragments sur des baskets ensanglantées, la casserole bosselée sans manche avec l’ADN de la victime, y compris un cheveu? Le crépi du hall d’entrée complètement abrasé? C’est là que l’on a retrouvé le plus de sang avec le Bluestar (Luminol)».

6 ans et demi et un traitement

Pour le ministère public (MP), «le doute n’est pas permis. Son comportement est odieux et perfide. Son mépris, total. Une mère étouffante, quel motif futile. Sa faute est gravissime. En temps normal, ce serait 20 ans mais elle souffre d’un trouble psychique sévère. Il faut retenir une responsabilité pénale fortement diminuée, partant une faute légère». Le représentant du MP requiert 6 ans et demi pour assassinat et tentative d’assassinat et des mesures thérapeutiques institutionnelles dans un établissement fermé à l’encontre de la Vaudoise, avant de prier le tribunal «de ne pas la pendre haut et court, c’est une personne en souffrance et en détresse. Peut-être un jour elle acceptera ce qu’elle a fait à sa mère.» Il exige également son maintien en détention.

«Son ADN n’est pas sur la casserole. Ma cliente ne l’a pas touchée»

Me Béatrice Pilloud, avocate de la prévenue

A contrario, Me Béatrice Pilloud, avocate de la quinquagénaire, s’adonne avec brio au démantèlement de l’acte d’accusation: «Elle n’avait aucune raison de s’en prendre à sa mère. Elles étaient fusionnelles, elle a tout abandonné pour s’en occuper. Ses troubles maniaques et paranoïdes sont anciens, c’est avec cette lorgnette qu’il faut apprécier les éléments techniques. Aucun d’eux ne nous démontre qu’elle l’a empoisonnée et encore moins qu’elle l’a tuée avec une casserole. Son ADN n’y est pas, il y a seulement celui de sa mère. Ma cliente ne l’a pas touchée. Qui la tenait? La technique ne dira jamais qui a tenu cette casserole. Sur les sacs-poubelle, aucune trace ADN excepté sur le haut de celui qui entourait les jambes de la défunte. Là où elle aurait saisi le corps, pas de trace. Comment effectuer le transport sans laisser de traces? Cela doit vous conduire à un doute insurmontable».

Un ADN masculin

Quid de cette trace masculine, présente aux abords du molok, sur une ficelle d’un des deux sacs-poubelle? Me Pilloud s’en sert bien sûr. À qui appartient-elle? Un homme aurait été aperçu s’affairant aussi autour du conteneur le 17 octobre déjà. «À l’heure du décès – le 21 octobre au plus tard – ma mandante était à Lausanne», martèle l’avocate. Qui se lance dans le détail de ses allées et venues entre le 20 au soir et le 22 au matin entre les cantons du Valais et de Vaud, preuves à l’appui. «Le ministère public raconte une histoire faite d’hypothèses, alors qu’il faut mettre en évidence les zones d’ombre afin de conclure à un acquittement. S’il y avait eu une seule expertise, on aurait gagné trois ans. Elle n’est pas malade ou folle, ses troubles schizophréniques sont diagnostiqués depuis 2013».

«Elle est incarcérée à tort depuis toutes ces années»

Me Béatrice Pilloud, avocate de la prévenue

Béatrice Pilloud de conclure: «Ma cliente s’estime saine d’esprit, elle nie avoir attenté à la vie de sa mère et elle est incarcérée à tort depuis toutes ces années. Je demande que l’argent séquestré (env. 130’000 francs) lui soit restitué. À sa sortie, elle en aura besoin. Je demande également une indemnité pour détention injustifiée de 177’900 francs (1779 jours de détention provisoire à 100.-) et sa remise en liberté immédiate». La femme de loi ne sera pas entendue sur la libération immédiate. Le tribunal maintient l’emprisonnement pour des motifs de sûreté jusqu’à droit connu.

Le verdict sera notifié aux parties dans les prochaines semaines. 

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