Colonisation: Lumière sur la «rançon» payée par Haïti à Paris pour son indépendance

Publié

ColonisationLumière sur la «rançon» payée par Haïti à Paris pour son indépendance

Le «New York Times» met la lumière, depuis quelques jours, sur les conséquences de la dette astronomique que Haïti a dû payer à la France pour son indépendance.

En 2003, le président Jean-Bertrand Aristide, ici en 2015, avait fait de la question de cette dette de l’indépendance son cheval de bataille, avant d’être évincé du pouvoir.

En 2003, le président Jean-Bertrand Aristide, ici en 2015, avait fait de la question de cette dette de l’indépendance son cheval de bataille, avant d’être évincé du pouvoir.

AFP

Une série d’articles du «New York Times» publiés ce week-end remet en lumière la tragique histoire de l’indépendance de Haïti et la dette astronomique que le pays a dû payer à la France au XIXe siècle, un sujet peu exploité par la classe politique haïtienne.

Après plusieurs mois d’analyse d’archives, le journal américain a estimé que les paiements, versés à compter de 1825 par la première république noire de l’histoire, pour indemniser les anciens colons esclavagistes, «ont coûté au développement économique de Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars de pertes sur deux siècles, soit une à huit fois le produit intérieur brut du pays en 2020».

Si la publication est largement partagée et commentée sur les réseaux sociaux, un silence complet prévaut tant du côté des autorités en place à Port-au-Prince que du côté de ses opposants. «Les politiciens haïtiens ont la fâcheuse tendance à ne fonctionner que dans le présent», a réagi, lundi auprès de l’AFP, l’historien haïtien Pierre Buteau. «Les hommes et femmes politiques ne s’intéressent qu’à la lutte pour le pouvoir», déplore-t-il.

Éviction du président revendicateur

La frilosité des dirigeants haïtiens à embrasser cette cause peut également s’expliquer par l’interventionnisme occidental dans le passé récent du pays des Caraïbes. En 2003, le président Jean-Bertrand Aristide avait fait de la question de cette dette de l’indépendance son cheval de bataille, chiffrant, au centime près, le montant perçu par la France à plus de 21 milliards de dollars (20 milliards de francs).

Confronté à une insurrection armée et une révolte populaire, qui dénonçait des violations des droits humains, il est évincé du pouvoir en février 2004, sous forte pression américaine, française et canadienne. Interrogé près de deux décennies plus tard par le «New York Times», Thierry Burkard, ambassadeur de France de l’époque, admet qu’il y avait «un peu» de lien entre l’éviction de Jean-Bertrand Aristide et ses revendications pour la restitution de cette dette.

En déclarant son indépendance le 1er janvier 1804, Haïti se retrouve au ban des nations d’un monde alors dominé par les puissances esclavagistes. «La façon avec laquelle, pendant un siècle et demi, Haïti a dû payer à la France pour avoir voulu être libre, (…) c’est toute l’insertion internationale de Haïti qui a été compromise», a analysé l’économiste français Thomas Piketty à la sortie, en 2019, de son livre «Capital et idéologie», dans lequel il évoque largement la problématique de la dette haïtienne de l’indépendance.

Tour Eiffel financée par l’argent haïtien

Les paiements exigés par la France ont autant privé l’économie haïtienne de ressources vitales à son essor, qu’ils ont permis à son ancienne métropole de prospérer. Le «New York Times» a ainsi montré comment, à la fin du XIXe siècle, la banque CIC a rapatrié en France, via des emprunts toxiques censés aider Port-au-Prince à purger sa dette, les revenus de la jeune banque nationale haïtienne.

Ces capitaux ont par la suite permis à l’établissement bancaire parisien de financer notamment la construction de la tour Eiffel. L’actuelle maison-mère du CIC a réagi lundi aux révélations du média américain.

«Parce qu’il est important d’éclairer toutes les composantes de l’histoire de la colonisation – y compris dans les années 1870, la banque mutualiste financera des travaux universitaires indépendants pour faire la lumière sur ce passé» a annoncé le Crédit Mutuel dans un communiqué de presse. À travers son travail d’enquête, le «New York Times» remet également en lumière le pillage des réserves d’or haïtiennes par les soldats américains au début du XXe siècle.

«17 décembre 1914. Huit marines américains franchissent le seuil de la banque nationale de Haïti en début d’après-midi et en ressortent les bras chargés de caisses en bois remplies d’or. Valeur de la cargaison: 500’000 dollars», rapporte le journal. Ces faits ont précédé l’invasion de Haïti par l’armée américaine, qui a occupé le pays de juillet 1915 à août 1934. Les États-Unis ont gardé le contrôle direct des finances haïtiennes plus d’une décennie après le départ de ses troupes.

(AFP)

Ton opinion

1 commentaire