Tribunal de CréteilUne figure de la cinéphilie française jugée pour un incendie mortel
La collection de bobines en nitrate de Serge Bromberg s’était spontanément enflammée pendant la canicule d’août 2020. Son procès commence mardi.
Il faisait très chaud le 10 août 2020 sur l’Île-de-France, alors frappée par la canicule. Suffisamment chaud pour que dans la nuit, entre une et trois tonnes de bobines en nitrate, hautement inflammables, s’embrasent dans un local situé sous un immeuble de Vincennes, faisant deux morts.
En conséquence, Serge Bromberg, un collectionneur de films bien connu des cinéphiles, sera jugé à partir de mardi à Créteil pour homicides involontaires, blessures involontaires et mise en danger d’autrui.
Spécialiste de la restauration
Ce spécialiste de la restauration de films était propriétaire, via sa société Lobster Film, de ce local situé rue de la Liberté et des pellicules de film entreposées. Les bobines en nitrate, anciennes, sont habituellement stockées avec précaution dans des entrepôts refroidis car facilement inflammables et potentiellement très dangereuses.
Cette nuit du 10 au 11 août, la chaleur était étouffante dans ce local en sous-sol, aux murs mal isolés, où la climatisation n’avait pas été enclenchée. Selon le rapport d’enquête consulté par l’AFP, les bobines se sont enflammées spontanément, ce qui a entraîné l’explosion du gaz ainsi produit. Des habitants de l’immeuble, dans leurs témoignages, font part d’une «importante déflagration».
Deux morts
L’incendie, violent, ravage également l’immeuble voisin. Une femme de 69 ans, qui habitait au 2e étage, est morte dans les flammes, alors qu’un homme de 55 ans s’est jeté du 4e étage. Le feu mettra six heures à être maîtrisé.
«Mes clients attendent que le tribunal reconnaisse la responsabilité pénale de monsieur Bromberg. Ses fautes, malgré sa parfaite connaissance et conscience du risque d’auto-combustion des bobines de nitrate, ont conduit à la mort dramatique d’un homme, brûlé au 3e degré, qui, face à la douleur, n’a eu d’autre choix que de se défenestrer», explique à l’AFP Me Elsa Crozatier, l’avocate d’une des parties civiles.
Explications différentes
«La société Lobster Films et son gérant M. Serge Bromberg ne contestent pas les faits reprochés. Ils réservent leurs explications pour le tribunal, lesquelles permettront d’en comprendre les circonstances, très différentes de celles ayant été présentées dans un récent article de presse non contradictoire», déclare pour sa part l’avocat de la défense, Me Emmanuel Mercinier.
Lors de son audition, Serge Bromberg a affirmé ne pas avoir eu conscience qu’il conservait autant de bobines en nitrate. Il juge leur nombre à 965, pour un poids total de 970 kilos. Les enquêteurs, eux, estiment plutôt que le nombre de bobines est compris entre 1364 et 1935. Soit un poids allant de 2,5 à 3,6 tonnes.
Stockage interdit sous des habitations
Une telle quantité aurait dû faire l’objet d’une demande d’autorisation de stockage auprès de la préfecture, ce qui n’était pas le cas. Il est de toute façon interdit de stocker des bobines au nitrate sous des habitations, et la copropriété de l’immeuble n’était pas au courant de ce qui se trouvait dans ce local.
Lors de son audition, M. Bromberg, 61 ans, a déclaré «ne pas avoir pensé» à mettre la climatisation dans le local pendant cette période de canicule.
Surtout, l’ancien directeur artistique du Festival du film d’animation d’Annecy a indiqué que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) avait, selon lui, l’obligation de récupérer ses bobines. «À de nombreuses reprises, et de façon répétée, essentiellement à l’oral et de visu, j’ai insisté sur l’urgence de prendre mes boîtes de bobines de nitrate dont le nombre augmentait», se défend-il.
«Collectionneur passionné»
Également entendu par les enquêteurs, un responsable du CNC a expliqué, lui, que l’obligation de l’établissement public était «de conserver les bobines de nitrate dans les conditions prévues par la loi mais en aucun cas de récupérer toutes les bobines de nitrate».
Selon lui, Serge Bromberg est un «collectionneur passionné» qui «n’avait pas conscience de ce qui pouvait se produire». Le procès, prévu sur deux jours, prendra fin mercredi.