LittératureLa Prix Nobel met en garde contre une «idéologie de repli»
L’écrivaine française Annie Ernaux a tenu sa conférence Nobel à Stockholm mercredi, relevant les dangers de l’exclusion.
La lauréate du prix Nobel de littérature Annie Ernaux a mis en garde, mercredi, contre une «idéologie de repli» qui se répand selon elle en Europe, cherchant à exclure les plus faibles de la société et à limiter les droits des femmes. «Il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays d’Europe jusqu’ici démocratiques», a-t-elle déclaré lors de sa conférence Nobel à Stockholm, avant de recevoir sa distinction lors du gala de remise des prix samedi.
«Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir de vigilance», a-t-elle ajouté.
«Briser la solitude des choses subies et enfouies»
Figure du féminisme, Annie Ernaux a été récompensée du prix Nobel de littérature 2022 pour «le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle», a expliqué le jury. Ses écrits, fortement inspirés de ses expériences personnelles de classe et de genre, jettent un regard critique sur les structures sociales.
L’écrivaine a aussi évoqué les protestations en Iran, qui ont éclaté à la mi-septembre après la mort de Mahsa Amini, arrêtée à Téhéran par la police des mœurs. La lauréate du Nobel a expliqué qu’elle s’était mise à écrire sur ses expériences personnelles, car «un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment», ajoutant que, «quand l’indicible vient au jour, c’est politique». «On le voit aujourd’hui avec la révolte de ces femmes qui ont trouvé les mots pour bouleverser le pouvoir masculin et se sont élevées, comme en Iran, contre sa forme la plus violente et la plus archaïque.»
«Un signal de justice et d’espérance»
Ayant «grandi dans la génération de l’après-guerre mondiale», celle-ci souligne «qu’il allait de soi que des écrivains et des intellectuels se positionnent par rapport à la politique de la France et s’impliquent dans les luttes sociales».
«Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres, accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation», note-t-elle, espérant que son prix Nobel soit un «signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines», dont la «légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise».