sociétéDes théories sur la pédocriminalité pullulent dans les sphères complotistes
Réseaux orchestrés pour séquestrer puis subtiliser le sang d’enfants, comportements déviants dans certains partis: des cercles tirent la sonnette d’alarme, sans avancer de preuves.
De Joe Biden à Céline Dion, célébrités et figures politiques sont les cibles récurrentes de théories complotistes qui voudraient que les «élites» entretiennent et protègent de vastes réseaux pédocriminels, une tendance qui alarme les associations de protection de l’enfance.
En Europe, les théories autour de vastes réseaux pédocriminels protégés par des élites politiques, culturelles ou médiatiques – thèses jusqu’à récemment cantonnées à des cercles complotistes confidentiels – se diffusent de plus en plus auprès du grand public.
Retour des théories sur l’adrénochrome
En France, mi-mars, l’intervention d’un ex-dealer dans l’émission TPMP sur la chaîne C8 a assuré une visibilité maximale à l’infox – aux relents antisémites – de l’adrénochrome, une pseudo-drogue censée provenir du sang d’enfants torturés et être prisée de célébrités comme Pierre Palmade ou Céline Dion. Le procédé est efficace: dénoncer la pédocriminalité ne peut que remporter l’adhésion et assurer une visibilité maximale en déclenchant à coup sûr l’indignation du public, notent les experts du complotisme, qui rappellent que taxer ses ennemis de dépravation est une technique de diabolisation qui remonte à loin.
Instrumentalisation politique
«Accuser des comploteurs présumés d’être immoraux et totalement corrompus» est l’un des thèmes centraux et récurrents du conspirationnisme depuis au moins le Moyen-Âge, rappelle à l’AFP Julien Giry, chercheur en sciences politiques. «Dès le XIIe siècle, les Templiers étaient accusés d’avoir des comportements sexuels extrêmement déviants, graves et contraires à la morale» ayant pour but de «corrompre» la population, détaille-t-il. Rites «pédosatanistes», trafic d’enfants... les rumeurs ont continué à se décliner en s’appuyant sur l’actualité pour y piocher des «éléments de légitimité», explique le chercheur.
Ces théories puisent leur force dans l’existence avérée de réseaux pédocriminels ou de trafics de mineurs; avec notamment des dossiers emblématiques, comme l’affaire Epstein, ce financier américain aujourd’hui décédé, accusé de crimes sexuels sur mineures perpétrés en toute impunité pendant 30 ans. Le dossier a des ramifications internationales, au cœur de la jet-set.
Régulièrement, les accusations de pédocriminalité sont instrumentalisées à des fins politiques. Ainsi, lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, la théorie du «Pizzagate» prétendait que la candidate démocrate Hillary Clinton ainsi que d’autres figures de son parti étaient impliquées dans un réseau géré depuis une pizzeria. Autre théorie: celle d’un réseau de tunnels sous la Maison-Blanche servant au trafic d’enfants.
La thématique sert aussi actuellement à alimenter la propagande prorusse présentant Vladimir Poutine comme un rempart contre un Occident aux mœurs «perverties», où l’exploitation des enfants serait courante et acceptée. Le président russe a lui-même affirmé que l’Occident avait fait de «la pédophilie la norme» lors d’un discours en février. Fin janvier circulait sur internet la photo d’un bâtiment en flammes, présenté comme un «laboratoire d’adrénochrome» en Ukraine bombardé par les Russes; elle montrait en fait l’explosion d’un dépôt pétrolier russe.
Associations inquiètes
Cette instrumentalisation par le complotisme de la lutte contre la pédocriminalité inquiète les associations investies dans cette cause. Dans la foulée de l’épisode «adrénochrome» dans TPMP, l’association Les Papillons avait décidé de se «séparer de (son) ambassadeur historique Cyril Hanouna», présentateur de l’émission, rappelle son président Laurent Boyet.
Non seulement ces théories n’aident en rien la cause des enfants, mais elles détournent des réelles problématiques en renvoyant une image trompeuse de ce qu’est la pédocriminalité, dénonce-t-il, rappelant que l’écrasante majorité des violences sexuelles ont lieu dans le cadre familial.
Elles contribuent «à dévaloriser et jeter le discrédit sur toutes les actions qu’on mène», déplore-t-il. Plus grave encore, «les victimes n’ont pas envie d’être prises dans la même nasse que les personnes qui diffusent ces théories», ce qui «concourt à bloquer la libération de la parole», regrette encore M. Boyet.