MédecineL’Université de Genève découvre les origines des métastases
Les cellules qui propagent un cancer dans d’autres parties du corps sont celles qui ont échappé de justesse à la mort, notamment, et c’est paradoxal, suite à des chimiothérapies.
![Michel Pralong](https://media.lematin.ch/4/image/2024/01/11/ee8c66ba-d9f8-4545-a733-0ee9fe5534f2.png?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=crop&w=400&h=400&rect=0%2C19%2C1104%2C621&fp-x=0.5027173913043478&fp-y=0.41488020176544765&crop=focalpoint&s=4a5cf81557e60798f8117d477cb937c7)
![Certains traitements chimiothérapiques ne tuent pas toutes les cellules et celles qui survivent peuvent se reprogrammer et propager le cancer dans le corps. Certains traitements chimiothérapiques ne tuent pas toutes les cellules et celles qui survivent peuvent se reprogrammer et propager le cancer dans le corps.](https://media.lematin.ch/4/image/2023/11/08/31e324d0-9ee6-4e70-9e44-68d568093ba2.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C2048%2C1373&fp-x=0.724609375&fp-y=0.42753095411507647&s=cb7c4ffcdb4db65dda89e992b14fc854)
Certains traitements chimiothérapiques ne tuent pas toutes les cellules et celles qui survivent peuvent se reprogrammer et propager le cancer dans le corps.
Getty ImagesCertains cancers secondaires se développent dans d’autres parties du corps. Par exemple, un cancer du côlon primaire peut se propager au foie. Les cellules formant des tumeurs secondaires sont appelées métastasiques. Elles se forment dans la tumeur primaire, s’en détachent et se déplacent avant de se fixer ailleurs où elles engendrent de nouvelles tumeurs. Cette diffusion de la maladie réduit les chances de guérison du patient. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) vient de découvrir une partie des mécanismes de formation de ces cellules voyageuses, processus que l’on ne connaissait pas jusqu’ici. Les résultats sont parus ce 8 mars dans la revue «Cell Reports».
Il s’agit en fait de cellules de la tumeur primaire qui ont échappé de justesse à la mort, notamment suite à une chimiothérapie. Elles se reprogramment alors, se détachent de la tumeur et propagent la maladie ailleurs. Le savoir en fait de nouvelles cibles pour des traitements contre le cancer.
Pas détectables avant la migration
De précédentes études avaient permis d’identifier ces cellules métastasiques empruntant les vaisseaux sanguins et les canaux lymphatiques (ces derniers permettent notamment la circulation des cellules immunitaires à travers le corps). On avait alors déjà constaté que certaines chimiothérapies étaient liées à l’apparition de ces cellules. Mais comment, mystère. «Nous ne savons pas pourquoi, à un moment précis, certaines cellules se séparent de la tumeur primaire», explique Ariel Ruiz i Altaba, professeur ordinaire au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE. «Le phénomène est difficile à analyser car, avant qu’elles ne migrent, rien ne permet de distinguer au sein de la tumeur les futures cellules métastatiques, ou les cellules pro métastatiques, des autres cellules».
Récemment, cette même équipe avait précisément découvert une hétérogénéité des cellules métastasiques au sein de la tumeur primaire. Certaines cellules de la tumeur primaire se transformaient en cellules métastasiques, donc susceptibles de propager le cancer, suite à une expérience de mort cellulaire imminente. Cette échappatoire à la mort peut être un processus naturel mais elle est également provoquée par plusieurs traitements contre le cancer.
Des cellules voisines les aident à voyager
Les chercheurs ont donc décidé de recréer ce processus chez des souris et en culture. Ils leur ont implanté des cellules tumorales provenant de patients atteints d’un cancer du côlon. Elles ont proliféré et formé des tumeurs. Les chercheurs ont alors soumis ces cellules à une expérience de mort imminente similaire à celle provoquée par certains traitements de chimiothérapie. Et cela a bien eu pour effet d’augmenter le nombre des cellules métastasiques. Au lieu de mourir du traitement, elles se sont reprogrammées. Les scientifiques les ont nommées cellules PAME (post-apoptotic pro-metastatic cells). Le terme d’apoptose décrit le mécanisme qui enclenche l’autodestruction des cellules en réponse à un signal.
Mais ce que les scientifiques ont également découvert, c’est que ces PAME déclenchent une tempête de cytokines. Il s’agit de protéines qui assurent la communication entre les cellules, mais lorsqu’elles sont produites en excès, cela engendre une violente inflammation du système immunitaire. De telles tempêtes ont notamment été observées chez des personnes sévèrement atteintes par le Covid. Dans le cas des PAME, cette tempête transforme les cellules adjacentes qui s’associent aux PAME pour les aider à migrer dans d’autres parties du corps. Voilà qui explique comment une cellule suite à une mort imminente se transforme et propage le cancer dans d’autres parties du corps.
Viser les cellules
Quelle est la proportion de cellules qui résistent à un traitement et se reprogramment en propagatrices de la maladie? Tous les traitements de chimiothérapie favorisent-ils ces PAME? On ne le sait pas encore. Faudrait-il adapter les chimiothérapies? «Je ne peux pas me prononcer sur cette question, c’est aux médecins traitants et aux oncologues d’en juger. Il faut évaluer les apports d’une chimiothérapie face à cet inconvénient. Nous sommes dans une situation paradoxale. Mais grâce à notre recherche, nous avons pu identifier ces cellules et comment elles apparaissent. Il faudrait maintenant pouvoir évaluer les effets de traitements sur les différentes populations de cellules de la tumeur. Grâce à notre étude, les cellules PAME apparaissent comme des cibles thérapeutiques et de préventions potentielles des métastases à prendre en compte», conclut le professeur Ruiz i Altaba. On pourrait donc imaginer des traitements qui visent spécifiquement ces cellules au lieu d’avoir pour seul but de diminuer le volume de la tumeur.