TunisieLe chef du parlement rejette sa dissolution par le président
Alors que le président tunisien a annoncé la dissolution de l’Assemblée mercredi, le chef du parlement l’a rejetée jeudi.
Le chef du parlement tunisien, Rached Ghannouchi, a rejeté jeudi la décision du président, Kaïs Saïed, de dissoudre l’Assemblée, affirmant qu’elle continuerait ses activités, pour sauver, selon lui, la démocratie dans le pays berceau du Printemps arabe. «Nous considérons que le parlement reste en activité, a déclaré Rached Ghannouchi, dans une interview à l’AFP. Constitutionnellement, le président n’a pas le droit de le dissoudre.»
Mercredi, le président Saïed a annoncé la dissolution du parlement, huit mois après l’avoir suspendu pour s’arroger les pleins pouvoirs en juillet 2021. «Cette décision est nulle et non avenue, et elle est contraire à la Constitution. Elle s’inscrit dans la continuité des décisions prises depuis le 25 juillet que nous avons rejetées et considérées comme un coup d’État», a dit Rached Ghannouchi, également chef du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, principale force parlementaire et bête noire du président Saïed.
Washington s’est dit jeudi «profondément préoccupé» par la décision du président tunisien Kais Saied de dissoudre le Parlement. «Les États-Unis sont profondément préoccupés par la décision du président tunisien de dissoudre unilatéralement le Parlement et par les informations selon lesquelles les autorités tunisiennes envisagent des mesures légales contre des membres du Parlement», a dit le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, lors d’une conférence de presse.
«Un retour rapide à un gouvernement constitutionnel, comprenant un Parlement élu, est essentiel à la gouvernance démocratique et nous nous assurerons (de fournir) un soutien large et durable aux réformes nécessaires pour aider l’économie tunisienne à rebondir», a-t-il ajouté.
Feuille de route
Après avoir suspendu le parlement et limogé le gouvernement en juillet, Kaïs Saïed a dissous en février le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), une mesure qualifiée de nouvelle dérive autoritaire par ses détracteurs et qui a suscité des inquiétudes pour l’indépendance de la justice.
En décembre, il a dévoilé une feuille de route pour sortir le pays de la crise avec des élections prévues fin 2022, ainsi qu’un référendum sur des amendements constitutionnels en juillet, mais une consultation populaire en ligne qu’il a lancée pour recueillir des propositions a largement été boudée par les Tunisiens.
«Coexistence menacée»
«Le président a procédé au gel du parlement puis à sa dissolution, il veut gouverner seul ce qui revient à détruire le principe de la séparation des pouvoirs», a estimé Rached Ghannouchi. «La décision de dissoudre le parlement menace la coexistence commune» en Tunisie, a-t-il encore ajouté. Kaïs Saïed a annoncé la dissolution de la Chambre quelques heures après la tenue d’une réunion virtuelle de 120 députés, à l’appel d’une instance de direction du parlement, bravant la suspension décidée en juillet.
Au cours de cette plénière, 116 députés ont voté pour annuler les mesures exceptionnelles prises par Kaïs Saïed qui bloquent, selon eux, le processus démocratique et instaurent un pouvoir autoritaire dans le pays, qui avait lancé le coup d’envoi du Printemps arabe en chassant l’ancien dictateur tunisien Zine el-Abidine Ben Ali en 2011.
Les députés, dont des élus d’Ennahdha et des indépendants, ont appelé en outre à l’organisation d’élections législatives et présidentielle anticipées pour sortir de la crise politique et socioéconomique.
«Tentative de coup d’État»
Kaïs Saïed a qualifié cette réunion de «tentative de coup d’État, qui a échoué». Il a accusé les participants de «comploter contre la sécurité de l’État» et demandé à la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, d’engager des poursuites contre eux. «Ce sont des interprétations utilisées par ceux qui défendent le pouvoir individualiste et le retour à la dictature, mais, en réalité, la réunion de l’Assemblée hier est légitime», s’est défendu Rached Ghannouchi.
Une enquête judiciaire a été ouverte jeudi contre les députés ayant participé à la séance en ligne, a indiqué le Ministère de la justice à l’AFP. Plus de 30 députés ont reçu jeudi une convocation par la brigade antiterroriste, a affirmé à l’AFP Rached Ghannouchi. «Traiter des députés élus comme des terroristes est dangereux», a-t-il estimé.