La Chaux-de-FondsPrésumé corrupteur absent: le procès Swatch Group est reporté!
Dans une affaire de corruption à 14 millions, le principal prévenu est resté confiné au Vietnam en raison de la pandémie. Le jugement n’est pas pour demain.
- par
- Vincent Donzé
Sept ans après la plainte de Swatch Group, le procès pour corruption de trois anciens cadres des marques horlogères Tissot et Calvin Klein a débuté jeudi par… un renvoi! La faute involontaire au principal prévenu R. L. (50 ans), confiné contre son gré au Vietnam en raison de la pandémie. Une absence «parfaitement excusable», de l’avis général.
À La Chaux-de-Fonds, les trois juges du Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz sont entrés dans la salle d’audience en portant chacun deux classeurs fédéraux qu’ils n’ont pas ouverts.
Cinq heures
Cinq heures après le début de l’audience, avec des avocats qui refusent de plaider et qui menacent de déposer des recours, ces magistrats n’ont pas eu d’autre choix que de reporter l’audience concernant des pots-de-vin fournis de 2006 à 2015 par le chaînon manquant au procès, lequel représentait des fournisseurs asiatiques alors en quête de débouchés. Pour quelles fournitures hors «Swiss Made»? Des batteries? «Des composants horlogers», dit une voix. «Tout…», ajoute une autre. Quels contrats valent 14 millions de pots-de-vin? «Les débats le diront», dit un avocat, sauf qu’ils n’auront pas lieu cette semaine…
Toutes les parties étaient d’accord sur un point: «L’absence d’un prévenu n’a qu’une seule solution possible: le renvoi des débats», a résumé un avocat. «Le Vietnam est frappé de plein fouet. Dans une dictature rouge, mon client ne peut pas sortir faire ses courses: des chars sont au coin des rues pour sanctionner ceux qui sortent», a précisé l’avocat genevois Philippe Grumbach, qui s’y connaît en criminalité en col blanc.
Pour la défense, le procès tourne à la «farce»: «Je dénonce haut et fort le comportement des plaignants qui ont tout fait depuis sept ans pour ralentir la procédure», a déclaré Me Philippe Grumbach, en constatant que la partie plaignante a également demandé le report du procès, jugeant l’acte d’accusation mal ficelé. Selon le défenseur de R. L., «Swatch Group n’a rien» dans son dossier.
Marié à une Vietnamienne et domicilié à Hô Chi Minh-Ville (Saigon, Vietnam) après avoir élu domicile à Hong Kong, le principal prévenu est accusé de corruption active, gestion déloyale et blanchiment d’argent. Il aurait dépensé 14 millions pour obtenir des contrats. Une accusation farouchement contestée par son avocat.
Reconvoqué
L’avocat genevois Philippe Grumbach s’est opposé à la tenue du procès en l’absence de son client, mais aussi à sa disjonction. «C’est la multiplication des actes d’instruction demandés par la partie plaignante qui a contribué à ralentir la procédure. Monsieur L. a le droit d’être reconvoqué pour être là physiquement», a argumenté Me Philippe Grumbach.
R. L. se voit reprocher des pots-de-vin sous forme de chèques, d’enveloppes et de virements bancaires, mais aussi de six voyages en famille tous frais payés. Les bénéficiaires travaillaient chez Tissot et CK Watch & Jewelry (Calvin Klein). Ces largesses étaient destinées à obtenir des contrats, mais aussi à rémunérer des conseils techniques dont le bénéfice aurait dû revenir à l’employeur.
Le prévenu est un homme d’affaires français qui parle couramment le mandarin. Il aurait cherché à obtenir de manière privilégiée des contrats avec les deux filiales de Swatch Group que sont Tissot et CK Watch & Jewelry, afin de poursuivre leur collaboration et d’obtenir d’importants volumes de commandes.
Cet intermédiaire aurait agi en son nom propre, mais aussi par l’intermédiaire de différentes sociétés dont il était actionnaire. Il est accusé de corruption active, de gestion déloyale et de blanchiment d’argent. Les mêmes charges pèsent contre trois anciens employés du Swatch Group, sauf que dans leur cas, la corruption est passive.
Swatch Group a découvert ces malversations à l’occasion d’un audit interne. Le procès reporté doit apporter de la lumière sur cette affaire rendue publique en 2014, lorsque la radio neuchâteloise «RTN» a révélé que deux cadres de Tissot avaient été licenciés avec effet immédiat.
Les trois collaborateurs des marques de montres et bijoux ont perdu leur travail au moment de la découverte tardive du pot aux roses, mais aucun d’entre eux n’a été détenu. Comme indiqué la semaine dernière par lematin.ch, l’instruction a été parsemée de recours, de faits contestés par la défense, de nouvelles mesures d’instruction, de recherches de fonds litigieux. Et ce n’est pas fini, même si selon le Tribunal, «les prévenus veulent un jugement».
«On ne sait pas combien de temps durera la crise sanitaire», a relevé la procureure Vanessa Guizzetti Piccirilli, qui aura le temps de compléter l’acte d’accusation. «Même les prévenus en ont marre: il faut aller de l’avant», a-t-elle estimé.
«Mon client n’est pas un corrupteur: c’est un homme d’affaires qui veut répondre aux questions», a déclaré Me Philippe Grumbach, en citant l’échéance du 15 septembre pour un éventuel assouplissement des mesures sanitaires au Vietnam. Pour certains délits reprochés, la prescription s’approche…