FrancePour la première fois en 20 ans, les diplomates français appelés à la grève
La réforme de la haute fonction publique crée un nouveau corps d’administrateurs de l’État et prévoit que les hauts fonctionnaires ne seront plus rattachés à une administration spécifique.
«Fatigués», «inquiets pour leur avenir» et «en manque de considération», les personnels du Quai d’Orsay sont appelés jeudi à faire grève pour protester contre une série de réformes qui mettent en danger selon eux l’efficacité et le prestige de la diplomatie française.
Le mouvement, rarissime dans une maison traditionnellement discrète et peu portée sur la contestation, a été lancé à l’appel de six syndicats et d’un collectif de 500 jeunes diplomates.
La réforme de la haute fonction publique voulue par le président Emmanuel Macron, qui aura des conséquences sur les carrières diplomatiques, a été le déclencheur du mouvement, mais la grogne monte en réalité depuis plusieurs années.
#diplo2métier
«L’empilement des réformes, la baisse continue des moyens, aboutit à une fatigue et un désarroi des personnels», explique le diplomate et syndicaliste CFTC Olivier Da Silva, constatant que «la colère est à un niveau particulièrement élevé» dans le réseau.
Fait inédit, de nombreux diplomates de haut rang, ambassadeurs, directeurs de régions, affichent depuis quelques jours sur Twitter leur soutien au mouvement, sous le hashtag #diplo2métier.
Certains, comme les ambassadrices du Koweït Claire Le Flécher ou d’Oman Véronique Aulagnon, annoncent qu’ils feront grève, d’autres, comme le directeur des affaires politiques du Quai d’Orsay Philippe Errera, retweetent une tribune récemment publiée par le collectif des jeunes diplomates.
Des rassemblements sont même prévus devant le ministère à Paris et à Nantes, où se trouve le centre des archives diplomatiques.
Les ambassadeurs et agents consulaires disposent du droit de grève, mais «naturellement on ne menacera jamais la protection de nos compatriotes et de nos intérêts. On appelle à cesser le travail dès l’instant où ça ne menace pas la continuité de la défense de nos intérêts», précise Olivier Da Silva. «Rien qu’une grève est déjà un événement en soi», ajoute-t-il, estimant qu’il s’agit d’un «cri d’alarme». «Notre ministère est abîmé, il faut le réparer». Les syndicats et le collectif réclament l’organisation d’assises de la diplomatie.
«La fin de la diplomatie professionnelle»
Objet des inquiétudes, la réforme de la haute fonction publique crée un nouveau corps d’administrateurs de l’État et prévoit que les hauts fonctionnaires ne seront plus rattachés à une administration spécifique mais seront, au contraire, invités à en changer régulièrement tout au long de leur carrière.
Pour les diplomates – environ 700 directement concernés par la réforme - cela se traduit par une fusion puis «mise en extinction» progressive d’ici à 2023 des deux corps historiques de la diplomatie française, ministres plénipotentiaires (ambassadeurs) et conseillers des affaires étrangères. Soit, estiment nombre d’entre eux, «la fin de la diplomatie professionnelle» française, troisième réseau international derrière les États-Unis et la Chine.
«Avec cette réforme, les Français vont être représentés par des gens pas formés aux codes de la diplomatie, ou pas prêts. Être consul, ce n’est pas seulement un rôle honorifique comme je l’entends dire. C’est aller reconnaître le corps d’un compatriote à la morgue, annoncer un décès… Il faut conserver la professionnalisation de notre diplomatie», estime un ambassadeur sous couvert de l’anonymat.
«Fatigue»
Un diplomate de haut rang également anonyme se dit lui très préoccupé par «la fatigue des personnels face à la pression constante combinée avec un déclin des moyens». «Certes il y a des ors au Quai d’Orsay, mais la vérité est qu’il y a de moins en moins de moyens», dit cette source.
Le ministère, où vient d’arriver Catherine Colonna, diplomate de carrière dont la nomination a été interprétée comme un «message» à l’endroit des personnels, assure avoir «noué un dialogue social de qualité» avec toutes les organisations syndicales.
«L’inquiétude est réelle, les personnels sont fatigués», reconnaît-on cependant de source proche du dossier, soulignant que le mouvement social intervient dans un «contexte très difficile»: plus de deux années de Covid, successions de crises, des évacuations de Kaboul après la victoire talibane en août 2021 en passant par la guerre en Ukraine, les expulsions de diplomates par la Russie, la crise avec le Mali…
Environ 13’500 agents (titulaires, contractuels, recrutements locaux…) sont employés par le ministère des Affaires étrangères, selon des chiffres officiels.