PandémieLe Paraguay accueille des antivax européens dans une «colonie libre»
Un lotissement appelé «Le paradis vert» a pour vocation d’héberger des Allemands et des Autrichiens refusant la société actuelle. Reportage.
On y parle allemand, on y maugrée contre les vaccins, on y cultive sa «croissance spirituelle», mais flotte pour certains comme un parfum d’arnaque : perdu dans le sud du Paraguay, un singulier lotissement attire une poignée d’Européens en quête d’un ailleurs «libre» et sans «règlementations». Qu’ils trouvent plus ou moins.
Le «Paraiso verde» (paradis vert) se mérite. A quatre heures de route de la capitale Asuncion, après 14 km de piste de la première voie asphaltée, des vigiles armés de fusil à pompe, pistolet à la ceinture, gardent le portail d’entrée au lotissement. Ou plutôt de l’immense terrain privé (16 km2) en pleine nature.
A l’intérieur, pour ce que l’AFP a pu en voir, quelques pavillons, une quinzaine d’autres en construction. Des logements type aparthôtel sur un paysage de prairie ou de plaine humide, en partie boisée, mais au total bien peu d’ombre sous l’écrasante chaleur de l’été austral : 37 degrés au thermomètre, un ressenti encore accru par l’humidité.
Le Paradis vert, «colonie libre» comme le présente son site internet, est né en 2016 du rêve d’Erwin et Sylvia Annau, un couple autrichien, d’une «vie meilleure et d’un avenir hors de la Matrice», loin des «tendances socialistes dans le monde, de la propagation des réalisations dégénératives telles que la 5G, les chemtrails, l’eau fluorée, les vaccinations obligatoires, les injonctions de soins», les «magouilles», etc.
De fait Herbert Heinz et Gerhild Wichmann, 72 et 70 ans, se sentent bien au Paradis. Dans la nature, avec un grand jardin, un potager, et entourés de germanophones, eux qui ne parlent pas espagnol, le tout sans la «surrégulation, les normes et les impôts» en Europe qui ont fait venir en octobre 2020 ce couple non vacciné.
«Pas de place pour nous» en Europe
Ils assurent à l’AFP ne pas être «contre les vaccins normaux qui n’altèrent pas l’ADN, mais le vaccin anti-Covid oui», assure Herbert. «Je crois que c’est une expérimentation humaine», appuie Gerhild, ex-conseillère fiscale, pianiste à ses heures venue «découvrir (s)es talents».
Le couple, charmant, est l’un des rares habitants qu’une équipe de l’AFP a pu interviewer, pendant quelques heures de visite «guidée» accompagnée d’un chauffeur et filmée par un caméraman «maison».
Car le Paraiso se méfie des médias «mainstream», après des reportages «négatifs» les décrivant comme «un noyau dur de complotistes» -ce dont se rit le site.
Celui-ci, en allemand, espagnol et français, montre des veillées au coin du feu, des chorales, et regorge de commentaires, comme Shiva et Jonathan, couple d’Autrichiens arrivé en 2021 après avoir écouté leur «voix intérieure», et ravis de ne trouver «ni secte, ni gourou», mais «juste un village avec des germanophones qui auraient transporté un peu de chez eux au loin».
Un autre interlocuteur autorisé à l’AFP, au «Centre de santé», est Uwe Crämer, un Allemand «médecin naturaliste» comme dit sa plaque (en bois), adepte d’homéopathie et d’ozonothérapie notamment. Il dit avoir quitté l’Europe «parce qu’on n’y veut pas d’alternative».
«Le corona(virus) n’est pas nouveau», explique-t-il. «Mais ils en ont fait quelque chose de nouveau pour avoir une pandémie, pouvoir mettre en place un confinement, des sanctions, des masques...»
«C’est vrai, beaucoup de ceux qui viennent ne veulent pas se faire vacciner. Ce n’est pas qu’ils sont anti-vaccin. Mais c’est contre le Covid», explique Juan Buker, président de la société Reljuv qui gère le domaine. «Mais la philosophie du projet, c’est surtout la liberté».
«Notre Paradis vert est devenu un refuge pour les libres penseurs conservateurs, les non-conformistes et ceux qui cherchent à vivre la meilleure vie possible à leurs conditions», résume le site du Paraiso, dont le fondateur Erwin Annau a décliné des demandes d’interview de l’AFP, comme d’autres habitants croisés dans la journée, dont des couples avec enfants -une «Escuela-Schule» est signalée par un panneau bilingue.
«Plus de 1500 lots» sont en cours de parcellisation, dans la colonie qui pourra à terme accueillir jusqu’à 20’000 personnes, assure le site. L’AFP a vu le matin quelques centaines d’ouvriers paraguayens attendant en file indienne d’entrer au Paraiso pour y travailler.
Des plaintes déposées
Mais pour l’heure, Paraiso compte 250 habitants, selon M. Buker. Moins Waltraud et Ulli, retraités allemands qui y avaient acquis un terrain mais sont repartis. «On s’est sentis trop vieux pour attendre les infrastructures. On reviendra quand il y aura plus de gens, de routes, d’internet, etc», explique Waltraud à l’AFP.
Un autre «ex», Paul Saladin, venu s’installer et développer la permaculture, dit à l’AFP être parti après avoir réalisé que les canaux creusés créaient un «gros problème d’environnement avec Isla Susu», une zone sylvestre protégée - la justice a infligé une amende à la société Reljuv.
D’autres plaintes, que l’AFP a pu observer, portent sur «escroquerie» et «abus de confiance», dont une pour l’équivalent de 200’000 dollars, selon le maire de Caazapa, Amado Diaz.
«Beaucoup de familles sont parties après s’être rendues compte que tout n’était pas comme annoncé», bien qu’ayant payé «4 à 5 fois le prix local» du terrain et se sentent «arnaquées», ajoute Paul Saladin. Il a aujourd’hui acheté un terrain près d’une autre colonie germanophone -le Paraguay a une tradition d’accueils d’Allemands-, Colonia Independencia, à 80 km de Caazapa.
Paraiso reconnaît des greffes ratées. «Beaucoup de ceux qui nous ont quittés voulaient continuer de vivre dans l’ancien système (...) Nous devons apprendre à être plus sélectifs. Nous déclinons à présent 40% des approches», assure le site.