Ski alpinDernière danse dans son jardin, à Wengen, pour Beat Feuz
Des émotions en vue pour le Bernois sur le point d’arrêter la compétition. Parce qu’au Lauberhorn, où il s’est déjà imposé trois fois, il est chez lui. Une dernière fois. Le regard de Didier Cuche.
- par
- Daniel Visentini
Dans l’imaginaire collectif, l’association d’un nom et d’un lieu fonctionne comme une madeleine de Proust: l’évidence du souvenir, la saveur qui revient en surface et qui dit tout de ce temps passé. Dans quelques années, quand on évoquera le Lauberhorn, s’il y a encore assez de neige pour entretenir le mythe, peut-être que c’est de cette manière que l’on repensera à Beat Feuz.
Wengen, le petit train à crémaillère, la marche paisible jusqu’à l’aire d’arrivée et les succès d’un Bernois dans le canton de Berne; ou alors Wengen, l’écran de TV allumé, la clameur en fond sonore, les emportements vocaux du commentateur et, en gros plan, la bouille rieuse de ce petit skieur qui a fait sienne cette piste si spéciale, qui ne s’offre pas à n’importe qui, mais qui lui a déjà dit oui trois fois. Comme à Franz Klammer: le prestige de la cohabitation dit l’exploit, en attendant peut-être mieux encore, samedi…
L’émotion d’abord
Pour l’instant, à la veille des épreuves de ce week-end (super-G vendredi, descente samedi, slalom dimanche), tout est encore trop frais, la magie de la mémoire a besoin de distance pour opérer. Là, il y a l’émotion pure. Les adieux de Beat Feuz (à bientôt 36 ans) dans son jardin, une dernière danse à domicile avant de raccrocher définitivement les spatules, la semaine prochaine, à Kitzbühel, autre endroit mythique.
Beat Feuz et Wengen, cela se marie pour les victoires, bien sûr, et pour tout ce qu’il a vécu sur place. Un Bernois qui s’impose en patron, dans l’Oberland. Le cliché a valeur d’icône. Même si rien ne prédisposait vraiment Feuz à cette idylle bernoise.
Premières impressions mitigées
En tout cas pas ses premières impressions. «La première fois que j’ai descendu le Lauberhorn, très jeune, j’ai terminé antépénultième, a-t-il déjà rappelé. J’étais mauvais. J’ai dit à quelqu’un près de moi que Wengen ne serait jamais une piste pour moi: trop longue et sans passages qui me conviennent. L’année suivante, j’ai été directement dans le coup. Je n’ai pas d’explication mis à part que j’adore le public suisse!»
Sa première en Coupe du monde sur cette piste, c’était le 16 janvier 2010. Le Bernois avait terminé à la 42e place, à près de six secondes de Carlo Janka. «Je me retrouvais largué sur une course dont je rêvais gamin», rigole-t-il depuis.
Le regard de Didier Cuche
C’est vrai, la suite invite à l’allégresse. Sept podiums en onze descentes, dont trois victoires (2012, 2018 et 2020): étourdissant! La légende naît comme cela. Didier Cuche en sait quelque chose. Lui, c’est le «Kaiser» de Kitzbühel (cinq succès). Il mesure mieux que personne la différence entre le succès et le seul podium, lui à qui le Lauberhorn s’est toujours refusé, le laissant trois fois à la deuxième place.
Se sent-on vraiment plus fort quand on revient dans son jardin? «Oui, c’est indéniable, explique Didier Cuche. On se sent plus fort en arrivant, quand on a déjà gagné sur place. Et quand cela prend des proportions plus grandes, avec plusieurs victoires au même endroit, c’est un sentiment encore plus marqué.»
Comment le ressent-on? «Parce que tu le vois dans le regard des concurrents, dans les yeux des entraîneurs aussi, poursuit Cuche. Alors oui, c’est une forme de pression. Parce que tu es l’homme à battre. Mais c’est de la pression positive, parce que tu sais que tu peux t’imposer. Cela te galvanise.»
Un dernier exploit?
Beat Feuz n’est pas une dernière fois à Wengen, en compétiteur, pour faire de la figuration. Il est là pour viser une quatrième victoire. Un morceau d’anthologie en plus, peut-être, pour celui qui a déjà tout gagné (or olympique, or mondial, quatre globes de cristal en descente, et seize succès en Coupe du monde). «Beat m’a toujours impressionné pour son toucher de neige, évoque Cuche. Cette faculté à alterner entre l’engagement et la douceur. C’est ce qu’il faut développer sur des pistes atypiques.»
Cette saison, il attend encore son premier podium, c’est vrai: il faut se méfier de lui, qui voudra partir en beauté. Dans son jardin d’abord, à Kitzbühel ensuite. Il méritera l’immense ovation qui, forcément, l’accompagnera partout ce week-end, à Wengen. Même s’il aura le sourire gêné de ceux qui ont toujours su rester humbles.