Disney+À nouveau privé de sortie en salles, Pixar voit rouge!
Alors qu’«Alerte rouge» est le 3e film du studio d’animation à sortir sur Disney+ sans passer par la case cinéma, les employés commencent à exprimer leur colère.
- par
- Christophe Pinol
Le torchon serait-il en train de brûler entre Disney et Pixar? Pour un peu, on jurerait que l’entreprise aux grandes oreilles a l’intention de couler les créateurs de «Toy Story», dont elle est pourtant le patron depuis 2006…
Voilà en tout cas les interrogations que suscite la décision de Disney, annoncée en janvier dernier, de finalement sortir «Alerte rouge», le nouveau long métrage Pixar (lire notre critique ici), directement sur la plateforme de streaming Disney+, sans passer par la case cinéma.
Disponible depuis vendredi dernier, le film raconte l’histoire d’une jeune adolescente en pleine puberté, Mei-Mei, qui se transforme soudainement en panda roux géant lorsqu’elle est prise d’anxiété, stressée ou même émoustillée.
Injustice au niveau des sorties
Après «Soul» et «Luca», eux aussi initialement prévus pour le cinéma, il s’agit ainsi du troisième Pixar consécutif à écoper de cette «sanction». Officiellement, en réponse à la crise sanitaire. Un véritable coup de massue pour les créateurs de «1001 pattes» et de «Nemo» qui ont toujours conçu leurs films avant tout pour le grand écran. La décision est d’ailleurs d’autant plus incompréhensible que les longs métrages Disney, tout comme les Marvel (eux aussi affiliés à la maison-mère), ont continué de sortir en salles tout au long de la pandémie. «Raya et le dernier dragon», «Cruella» ou encore «Black Widow» ont ainsi bénéficié d’une sortie salles en parallèle à leur mise à disposition sur la plateforme (eux, en mode Access Premium, soit disponibles au prix de 29 francs en plus de celui de l’abonnement mensuel) tandis qu’«Encanto, la fantastique famille Madrigal», dernier Disney pur jus en date, a même bénéficié d’une sortie salles à part entière. Quelque part, on a donc l’impression que l’oncle Walt dévalorise les longs métrages de la lampe Luxo Jr. Comme s’ils n’étaient plus dignes du spectacle avec un grand S, dans une grande salle, avec un public soudé exprimant ses pleurs et ses rires, ainsi que ses moments de communion.
Alors jusqu’ici, Pixar s’était contenté de faire profil bas, ne pipant mot suite à ces choix drastiques de distribution, probablement encore échaudés par le résultat au box-office de leur dernier long métrage vu sur grand écran, «En avant». Sorti en mars 2020, au moment même où la pandémie déferlait sur la planète, il avait enregistré le pire score de l’histoire du studio, avec seulement 60 millions de dollars de recettes mondiales (contre un peu plus d’un milliard pour leur plus grand succès, «Toy Story 3»). A leur décharge, rappelons que les salles fermaient à ce moment-là leurs portes les unes après les autres…
Désillusion pour les équipes Pixar
Toujours est-il qu’aujourd’hui, les langues commencent à se délier dans les locaux d’Emeryville… Et même si les employés ne sont évidemment pas autorisés à commenter officiellement la sortie d’«Alerte rouge», certains se lâchent enfin sous couvert d’anonymat: «Nous sommes tous extrêmement déçus, affirmait il y a quelques semaines un cadre au magazine «Insider». Nous pensions tous qu’«Alerte rouge» serait notre retour sur le grand écran. Et tout le monde au studio était très excité que ce soit pour ce film en particulier. C’est un coup dur». «C’est nul, mais je comprends», poursuivait un autre employé Pixar, faisant allusion au fait que la décision de sortir le film en streaming avait été prise au moment où Omicron se propageait à une vitesse folle sur la planète, créant de nouvelles incertitudes liées aux conditions sanitaires.
Alors bien sûr, pour Disney, proposer des films aussi prestigieux en exclusivité, c’est tout bénef: d’une part le catalogue s’enrichit et la plateforme continue d’être attractive; de l’autre, de nouveaux abonnés arrivent en masse et ceux déjà inscrits sont aux anges. «Soul» et «Luca» ont d’ailleurs généré de solides bénéfices du côté de Disney +. Le second se payant même le luxe de finir en tête des films les plus streamés de 2021 toutes plateformes confondues, selon l’institut Nielsen, avec 10,6 milliards de minutes de visionnage. Seul bémol: impossible pour Pixar d’espérer le moindre retour sur investissement. Et avec une ardoise estimée à 175 millions de dollars pour «Alerte rouge», c’est rude! «Nous ne voulons pas être un simple label Disney+, scandait une autre source dans les colonnes d’Insider. Nous souhaitions donner une chance aux gens de voir ces films sans être distraits par leur smartphone».
La réalisatrice botte en touche
Interrogée par le New York Times sur la question, la réalisatrice d’«Alerte rouge», Domee Shi, visiblement bien cadrée par la production, s’est contenté de botter en touche, confirmant par là même que le sujet est effectivement sensible: «Le film est bien sûr à l’origine conçu pour le cinéma. Mais en même temps, les longs métrages préférés de mon adolescence sont ceux que je regardais en VHS, pour lesquels je pouvais voir et revoir mes passages préférés»…
Reste que le film mérite toute notre attention sur au moins deux points. D’abord parce qu’il s’agit du premier long métrage du studio entièrement mis en scène par une femme. En 36 ans d’existence, ce n’est pas rien! Domee Shi était d’ailleurs déjà réalisatrice pour Pixar du court métrage «Bao», présenté en ouverture des «Indestructibles 2», en 2018, et récompensé l’année d’après de l’Oscar du court métrage d’animation. Mais surtout, «Alerte rouge» ose aborder des thématiques surprenantes pour une production familiale. En se concentrant sur les émotions débordantes de cette adolescente en pleine puberté, le film s’attarde ainsi sur des aspects très intimes de la vie d’une jeune fille puisque cette histoire de panda roux n’est qu’une métaphore à peine déguisée pour évoquer les premières règles. «Je voulais que Mei passe par une transformation magique de la puberté, continuait Domee Shi dans le New York Times, et je n’arrivais pas à me sortir de la tête cette image d’un panda rouge géant. Un animal mignon et drôle, dont la couleur représentait bien entendu les règles, mais aussi toute une palette d’émotions associées à la puberté: la colère, la gêne et même le désir que l’on peut éprouver pour autrui». Soit des thèmes en général soigneusement évités par les grands studios d’animation.
Une première sur grand écran
La semaine passée, la première du film a tout de même eu droit à l’ambiance des grands jours: tapis rouge, défilé de stars (avec notamment la présence de Billie Eilish, qui a composé quelques titres pour le film; l’actrice Sandra Oh, vue dans «Grey’s Anatomy» et «Killing Eve», qui double la maman de l’héroïne; ou encore Pete Doctor, réalisateur de «Vice versa» et patron de Pixar), et surtout, une projection sur grand écran, dans la prestigieuse salle El Capitan, sur Hollywood Boulevard. Là, au moins, on pouvait voir le film dans des conditions optimales.
Aujourd’hui, tous les regards sont désormais braqués sur le prochain Pixar: «Buzz l’éclair», sorte de spin-off de «Toy Story» puisqu’on y suivra les aventures de l’astronaute qui a inspiré le fameux jouet de la trilogie originelle. Son statut de «suite» à une saga très lucrative devrait lui garantir une sortie salles, mais avec Disney, sait-on jamais… À vérifier autour du 22 juin prochain.